DE LA DPS AU PST OU DE MAL EN PI(I)S ? – Analyse de l’aDAS

LE CPAS de Liège avait adopté début 2019 une Déclaration de Politique Sociale (DPS) qui fixait ses « objectifs de nature politique » pour la législature 2019-2024. Ces objectifs politiques devaient être concrétisés en « objectifs stratégiques » eux-mêmes traduits en « objectifs opérationnels » et « actions » exposés dans un Plan Stratégique Transversal (PST).
C’est chose faite.
Dans l’analyse que nous avons faite de la DPS lors de sa publication, nous la qualifiions de très libérale sur le fond, et nous pointions le caractère très peu précis des objectifs qu’elle se fixait et qui ne répondaient en rien aux problèmes cruciaux rencontrés par les usagers et les travailleurs.
Nous attendions avec impatience la concrétisation de ces objectifs dans le PST.
Malheureusement, celui-ci ne propose aucune solution concrète aux difficultés et dysfonctionnements.

15 novembre 2019

ORIENTATION LIBÉRALE ET MANAGÉRIALE

Sur le fond, nous nous reportons à l’analyse globale de la DPS faite par notre association, ainsi qu’à notre réaction aux déclarations de la Présidente lors de la réunion commune « Ville-CPAS » de mars 2019.

Le PST confirme le parti-pris du CPAS de Liège pour l’idéologie qualifiée « d’Etat social actif » dont les piliers sont l’activation et la contractualisation. L’Etat « providence » (que nous préférons qualifier « d’Etat social », n’aimant pas cette expression anglo-saxonne plutôt péjorative) est rejeté dans la sphère du négatif, de « l’assistance ».

Extrait : « Sur le plan légal, le changement de paradigme auquel a conduit la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, renforcé en 2016 avec la réforme du Projet Individualisé d’Intégration Sociale (PIIS), a également provoqué une profonde révision dans la manière d’appréhender le fait social de la pauvreté et a conduit les CPAS à inscrire la pratique de l’insertion sociale dans une dynamique d’activation par le travail en réfutant la conception d’assistance propre à l’État providence».

Le PST confirme aussi l’option managériale. Au contraire de certains autres CPAS, les responsables d’antenne ou de services ne sont pas encore qualifiés de « managers sociaux », mais l’option managériale est bien présente.
Extrait : « A l’instar des autres pouvoirs publics, les CPAS n’ont pas échappé aux nouvelles tendances de modernisation managériale et aux modèles du “New Public Management”. Ils se sont ainsi trouvés, eux-aussi, en proie “au vent de débureaucratisation et de modernisation” induisant d’importants changements dans les missions, les actions et les pratiques professionnelles jusque-là observées en introduisant une philosophie de la gouvernance axée sur un management par projets, la qualité, la culture du résultat : concepts bien éloignés des standards jusque-là observés dans le fonctionnement des CPAS (…) ».
A la lecture de cette entrée en matière, on ne sait pas si ce « constat » est plutôt vécu négativement, comme un recul, ce que pourrait laisser entendre le début du paragraphe, avec les formules « n’ont pu échapper » et «se sont ainsi trouvés en proie… », ou encore aux guillemets entourant la « novlangue » inspirée du secteur privé, imposée et polluant toujours plus les services publics. Toutefois, même dans ce cas, il est clair que cette éventuelle distance critique ne donne lieu qu’à un simple « regret », mais à aucune contestation de fond, ni encore moins à une quelconque volonté de résister à cette dérive managériale –que du contraire.

CATALOGUE DE BONNES (ET MOINS BONNES) INTENTIONS

Le PST est un long, très long catalogue de bonnes (et moins bonnes) intentions, comprenant pas moins de 162 actions censées atteindre 9 objectifs stratégiques. Ces belles déclarations d’intentions tiennent surtout des vœux pieux, et ne sont nulle part concrétisées dans un calendrier de mise en œuvre, leur coût n’est pas budgétisé, les 162 actions ne sont quasiment pas hiérarchisées.
Nombre d’objectifs et actions, dans quelque domaine que ce soit, pourraient être résumés de la sorte : « Nous faisons mieux aujourd’hui qu’hier, mais nous ferons mieux demain qu’aujourd’hui ».

UNE SITUATION CATASTROPHIQUE MAIS NIÉE

La situation des usagers du CPAS de Liège est catastrophique depuis plusieurs années, et l’est de plus en plus. Et encore, le terme est sans doute trop faible. Le PST n’aborde à aucun moment cette situation avec lucidité. Tout se passe comme si les conseillers de la majorité, comme les principaux responsables de l’administration, ne mesurent pas la gravité de cet état de lieux.  Tous sont dans le déni. Or, aussi longtemps qu’ils adopteront cette posture, ils ne pourront forcément pas proposer de solutions efficaces pour remédier aux problèmes les plus criants.

DES CONSTATS ALARMANTS

  • Les délais légaux d’examen des demandes ne sont quasiment plus jamais respectés et même souvent fortement dépassés. Une décision à propos d’une nouvelle demande est rarement prise avant deux à trois mois.
  • Les paiements de RIS et d’aides sociales subissent de nombreux retards. Lorsque les décisions sont prises par le CSSS, ou lorsque les dossiers sont envoyés par les AS « dans le circuit », comme on dit au CPAS de Liège, le temps mis à encoder les paiements et à les effectuer est souvent très long.
  • L’accessibilité est très problématique, à tous les niveaux. Dans la plupart des antennes de quartier, le téléphone « sonne dans le vide », comme nous le disent les usagers. Ils n’obtiennent pas de réponse, n’ont pas la possibilité de laisser un message vocal à l’antenne, et encore moins à leur AS directement. Des dizaines d’appels sont parfois nécessaires avant d’obtenir enfin une réponse, ce qui ne signifie pas encore pouvoir parler à l’AS titulaire du dossier.
  • Les prolongations de RIS subissent de nombreux retards. Lorsque c’est le cas, les usagers ne parviennent pas à savoir quand le paiement sera effectué. « Le dossier est dans le circuit », s’entendent-ils répondre, quand ils parviennent à trouver un interlocuteur. « Dans le circuit » de quoi, et pour combien de temps ? Mystère. En attendant, les personnes restent sans ressources, dans l’incapacité de payer le loyer et les charges, d’assurer leur subsistance et celle de leurs enfants.
  • Des prolongations ne sont pas effectuées parce que l’AS est absent pour maladie, est en congé, ou a été affecté à un autre service, à une autre antenne… Il est fréquent qu’aucun remplaçant n’ait été désigné pour faire la révision du dossier. Des usagers se rendent à plusieurs reprises dans leur antenne sans parvenir à rencontrer un AS à qui s’adresser.
  • Le turn over des AS atteint des dimensions inouïes. Des usagers ont à faire à plusieurs AS qui se succèdent à une rapidité incroyable. Il est fréquent qu’ils ne sachent pas qui est leur AS référent et quel jour ou comment ils peuvent le contacter. Il est évidemment impossible dans ces conditions que leur dossier soit traité de manière efficace. Nous ne parlerons même pas de travail social de qualité et de la relation de confiance qui en est l’ADN, tant cela est jeté aux oubliettes par la force des choses.
  • Les AS malades sont remplacés par des jeunes collègues débutants, qui, par définition, ne peuvent posséder d’emblée la formation nécessaire pour reprendre «au vol » les dossiers souvent complexes des bénéficiaires (ce n’est pas simple, le travail d’AS en CPAS !).
    La qualité du traitement des dossiers en souffre terriblement. Les usagers sont amenés à fournir des documents et donner des informations qu’ils ont déjà fournis précédemment. Tout cela contribue à alimenter les nombreux retards dans l’examen des demandes et dans le paiement des aides.
  • Le service d’encodage des paiements est complètement saturé. Il fonctionne en partie avec des travailleurs sous contrat Article 60, toujours engagés à durée déterminée. Ceux-ci sont à peine formés qu’ils sont transférés vers le régime « Chômage » et remplacés par de nouveaux travailleurs en Article 60. Et le carrousel continue à tourner.
  • Les agents d’accueil (fonction éminemment importante dans un CPAS pour assurer une bonne orientation) sont pratiquement tous engagés sous contrat Article 60. Donc, là encore, à durée déterminée, avec le même « circuit » en boucle vers le régime « Chômage ».
  • Des jeunes qui ont commencé ou poursuivi des études ne connaissaient pas encore fin octobre la décision du CPAS (positive ou négative). Soit-ils se sont inscrits, ont payé les frais d’inscription et/ou le minerval, et ils devront arrêter les études en cours de route si le CPAS leur refuse le statut d’étudiant ; soit ils ne se sont pas inscrits en l’absence d’une décision du CPAS, et ils perdront une année ou ont arrêté définitivement les études.
    Dans tous les cas, cette situation est inadmissible.
    Tout étudiant qui a réussi les examens doit savoir dès juillet s’il est autorisé à poursuivre ses études. Tout étudiant qui a des repêchages doit savoir dès le début de septembre s’il est autorisé à poursuivre. Il revient au CAS et au CSSS de s’organiser pour le faire.

ENTRE LANGUE DE BOIS…

Le PST décrète que l’objectif « numéro 1 » du CPAS de Liège est, nous citons, « d’être un CPAS qui assure un accompagnement social individuel global intégré et renforcé ».
La première action censée rencontrer cet objectif est définie comme suit : « Une meilleure répartition de la charge de travail (et du nombre de dossiers) entre les assistants sociaux des différentes antennes est aussi nécessaire. Cette répartition plus équitable doit s’accompagner d’une révision des processus de travail tant au niveau de la gestion d’un dossier social qu’au niveau des processus de fonctionnement interne, communicationnels et décisionnels ».
« Bla bla bla », en quelque sorte. Parce que le problème n’est pas avant tout de répartir la charge de travail, mais de la diminuer. Et pour y parvenir, il faudrait examiner concrètement la situation existante, les causes des problèmes, et proposer des solutions.
Le PST ne le fait pas !

  • Une estimation du nombre de memebres du personnel (social et administratif) manquant, antenne par antenne, service par service… très concrètement ? Néant !
  • Une analyse des causes du burn out et du turn over hallucinant qui en découle inévitablement ? Néant ! Au contraire, le CPAS annonce que son « intention est également de continuer à développer notre politique de gestion de l’absentéisme ». Faut-il comprendre par cette formule managériale et technocratique la menace à peine voilée d’une répression des travailleuses et travailleurs « craquant » sous la somme et les contraintes croissantes d’un travail littéralement écrasant, matériellement et psychiquement ?
  • Une estimation du coût budgétaire de l’engagement de personnel indispensable pour faire face aux urgences évidentes?
    Néant !
  • Des propositions concrètes de moyens financiers à dégager ou à exiger (du niveau local, régional et fédéral) pour faire face à ce coût budgétaire ? Néant !
    Nous pourrions critiquer de la même manière la plupart des autres objectifs et actions invoquées par le PST. Ce serait sans intérêt, puisque les constats évidents et indispensables ne sont pas faits, et qu’en conséquence les « solutions » proposées ne « solutionneront » rien.
    Un éclair de lucidité tout de même avec cette déclaration « Incontestablement, le métier d’agent du CPAS est éprouvant » ? Il est sitôt contredit par une autre affirmation, aussi « bateau » que tenant de la méthode Coué : « Notre CPAS a toutes les cartes en main pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain ».

…ET SOLUTIONS BANCALES

Au milieu du long, très long, catalogue de bonnes intentions, deux décisions concrètes sont prises, dont l’une des deux est déjà partiellement mise en application.

Il s’agit de la mise en place d’un guichet unique pour l’introduction des nouvelles demandes (il devrait être opérationnel en 2020), et de la constitution d’une équipe d’AS « volants » (elle est déjà partiellement au moins mise en place).

L’ÉQUIPE VOLANTE D’AS

Il y a trop peu de personnel, social et administratif. Ce personnel est soumis à des conditions de travail (quantitatives et qualitatives) telles, qu’en permanence une partie non négligeable en est victime de burn out.
Le burn out entraîne le turn over. Le turn over alimente le burn out.
C’est cela qu’il faut changer, et non pas ajouter du turn over au turn over, ce que représente une équipe volante.
Des usagers ont déjà expérimenté l’équipe volante : celle-ci ajoute du chaos au chaos. Et nous ne donnons pas beaucoup de temps avant que les AS volants soient à leur tour atteints de burn out. Des volants remplaceront alors les volants…

USAGERS EXCLUS DE TOUTE CONSULTATION

Le CPAS s’enorgueillit d’avoir consulté les travailleurs.
Ceux-ci ont reçu un questionnaire à remplir dans lequel ils ont pu faire part de leurs propositions. Ils ont rentré 700 propositions qui ont été rassemblées dans un document publié par l’institution.
Celle-ci déclare qu’il ne lui était pas possible de les retenir toutes, mais qu’elle a « dégagé celles qui nous paraissaient les plus appropriées dans le champ de la qualité de l’accompagnement social que souhaite assurer notre CPAS durant les prochaines années vis-à-vis des bénéficiaires, mais aussi celles qui sont apparues comme pouvant participer à l’amélioration de l’organisation et du confort de travail de nos collaborateurs ».
On remarquera que c’est unilatéralement que les responsables, politiques et administratifs, du CPAS de Liège ont « sélectionné » les suggestions et demandes du personnel « consulté », selon leur évaluation « souveraine » de leur pertinence –ou de leur conformité avec leurs propres objectifs. Une fois de plus, on mesure
ici la limite et la relativité de ce genre de procédure pseudo-participative.
Quoi qu’il en soit, il reviendra aux travailleurs, et à leurs délégués, d’apprécier s’il s’est agi d’une véritable consultation ou d’un simulacre.
Par contre, ce qui est certain, c’est que dans tous ces processus (DPS, PST), les usagers sont totalement absents.
A aucun moment, et sous quelque forme que ce soit, leur avis n’est sollicité. Il n’est donc jamais pris en compte.
La finalité d’un service public est pourtant d’accorder des services et des droits aux personnes auquel il s’adresse. L’évaluation de ses politiques devrait donc être soumise aux principaux concernés.

Il faudrait peut-être y penser, un jour ?

Et ceci n’est qu’un aperçu de la problématique, bien plus large et préoccupante, de l’aide sociale du CPAS de Liège.
Dans cette analyse du PST, nous abordons essentiellement la question des demandes de RIS et d’aides sociales diverses. C’est celle que nous connaissons le mieux, et pour laquelle notre association est fréquemment sollicitée par les usagers.
Beaucoup d’autres problématiques devraient être abordées, comme celle du logement, de la mise à l’emploi, des ateliers dits d’« insertion sociale», des PIIS, des placements de personnes âgées dans les homes (souvent privés), de l’obligation alimentaire, de la promesse (non tenue) d’accorder deux mois de caution, d’obligations (illégales) faites aux usagers de signer des reconnaissance de dettes sans notification, du manque criant de maisons d’accueil (et de l’absence de maisons d’accueil mises en place par les pouvoirs publics), de l’absolue nécessité de réquisitionner les immeubles vides … (liste non exhaustive).

A toutes ces questions, dont une partie a été explicitée dans nos cahiers de revendications antérieurs, le PST ne donne aucune réponse concrète. Une bonne partie d’entre elles n’est d’ailleurs tout simplement pas évoquée dans le plan.
Notre association continuera à défendre individuellement les demandeurs et bénéficiaires dont les droits ne sont pas respectés.
Elle continuera à interpeller les responsables politiques et administratifs du CPAS de Liège sur les pratiques illégales et antisociales constatées.
Elle appelle les associations et les mandataires politiques progressistes à se mobiliser afin de défendre les droits de la population la plus pauvre de notre Cité –pas toujours très ardente dans ce domaine…

L’aDAS

« L’association de Défense des Allocataires Sociaux »
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Récupération par les CPAS des arriérés d’ARR

L’aDAS interpelle la ministre Karine Lalieux et le directeur général SPF Yves Desmedt sur des problèmes rencontrés dans certaines situations lors de la récupération d’arriérés d’ allocations de remplacement de revenus (ARR) par les CPAS. Dans le cas relaté, une jeune de 20 ans se retrouve avec une dette de 8000€. Situation dont elle n’est pas responsable – tout à fait injuste et inadmissible…

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