Suis-je obligé d’accepter une visite domiciliaire? A quelles conditions?

1. Le principe de la visite à domicile

La plupart des CPAS ont, de tout temps, effectué des visites à domicile. Celles-ci ne sont toutefois obligatoires, légalement, que depuis 2014.

Deux arrêtés royaux concernant les  «conditions minimales de l’enquête sociale» –l’un en matière de revenu d’intégration (RI), l’autre en matière d’aides sociales remboursées par l’État– stipulent que «la visite à domicile fait partie de l’enquête sociale. Elle est réalisée au moment de l’ouverture du dossier et reconduite chaque fois que c’est nécessaire et au minimum une fois par an». Une circulaire d’application apporte quelques précisions.

La visite est obligatoire en matière de RI ou d’ASE.
Lorsque la demande concerne la prise en charge de factures d’aide médicale (aides remboursées par l’État dont l’AMU), le CPAS «peut juger de  la nécessité et de l’opportunité de réaliser une visite à domicile». Les rapports d’inspection insistent cependant sur le fait qu’il est conseillé aux CPAS d’effectuer une visite dans le maximum possible de cas.

La visite domiciliaire n’est pas obligatoire dans certaines circonstances particulières. Par exemple, en cas d’impossibilité ou de difficultés à l’effectuer (étudiants ne résidant pas sur le territoire de la commune, usagers résidant dans un établissement de soins…), ou encore lorsque «la sécurité du travailleur n’est pas assurée».

La circulaire évoque le but de la visite à domicile en ces termes : «[Elle] fait partie intégrante de l’enquête sociale. Elle est un des éléments primordiaux permettant de déterminer l’étendue du besoin d’aide. Elle doit permettre au CPAS d’avoir une image globale de la situation du demandeur, de confronter ses déclarations à la réalité afin de déterminer l’aide la plus appropriée à accorder pour faire face aux besoins».

S’il est exact que, dans certains cas (ils sont plutôt rares), la visite à domicile aboutit à constater «la nature et l’étendue des besoins de la personne» et à proposer les aides adéquates pour les rencontrer, l’objectif réel n’est pas celui-là. Il est, avant tout, de contrôler.

S’il s’agit de contrôler la résidence, il n’y a pas à redire, puisqu’elle est une des 6 conditions d’octroi du RI, et elle détermine quel est le CPAS compétent territorialement pour l’octroi des aides.
D’autres moyens pourraient permettre de prouver la résidence (bail, domiciliation, paiement du loyer…) ; ils s’ajoutent d’ailleurs, le plus souvent, à la visite domiciliaire. Mais dans l’état actuel des choses, celle-ci reste une obligation légale.

2. Suis-je en droit de refuser la visite à domicile?

Étant donné qu’elle est une obligation légale pour les CPAS, il est difficile de la refuser par principe –par exemple, au nom du droit à la vie privée ou encore de l’inviolabilité du domicile. Certains usagers s’y sont essayé mais ont perdu le recours au tribunal et à la Cour du travail.

La circulaire indique que «(…) si un demandeur d’aide refuse la visite à domicile, il en sera fait mention dans le rapport social» sans dire les conséquences de ce refus pour le demandeur.

Sauf exceptions motivées, il semble donc difficile –dans l’état actuel de la législation– de s’opposer à la visite à domicile. Cela n’oblige toutefois pas à se soumettre à la manière dont certains CPAS appliquent cette obligation légale.

Deux manières de faire de ces CPAS sont à cet égard inacceptables : les visites à domicile à l’improviste, et les visites intrusives.

 

3. Les visites à l’improviste

Certains AS, à titre individuel ou en conformité avec les instructions de leur hiérarchie, refusent de dire quand ils passeront à domicile. Que ce soit lors de l’introduction d’une nouvelle demande ou d’une révision du dossier. Des usagers attendent la visite pendant des jours et parfois des semaines dans l’angoisse de rater le coup de sonnette.

Nous estimons que c’est inadmissible. Chacun a des choses à faire, des démarches à accomplir, est libre d’aller et venir à sa guise et de disposer de son temps. Les allocataires ne sont pas assignés à résidence.

Lorsqu’un AS est passé à l’improviste sans vous trouver, il laisse parfois un avis de passage, parfois pas. S’il en laisse un, soit il indique uniquement qu’il est passé, soit il vous demande de le contacter, soit il vous dit quand il passera à nouveau. Dans les deux premiers cas, nous vous conseillons de le contacter le plus rapidement possible. Il est toutefois illégal que l’AS exige, sous menace de sanctions, que vous le contactiez dans un délai extrêmement court (par exemple, dans les 24 ou 48 heures).

Que disent les deux arrêtés royaux à ce sujet ? Rien.

La circulaire d’application, quant à elle, indique que «la visite à domicile peut être réalisée après que le CPAS ait envoyé un avis de passage au demandeur, mais cet avis de passage n’est pas indispensable. Le CPAS peut, s’il l’estime nécessaire, effectuer cette visite à domicile à l’improviste». Elle ne dit pas les conséquences qu’entraînerait une absence lors d’une ou plusieurs visites à domicile à l’improviste.

Plusieurs CPAS concluent à une non résidence lorsque l’AS a effectué plusieurs (parfois uniquemen 2 !) visites à l’improviste infructueuses (sans vous trouver chez vous). C’est un abus de pouvoir.

De façon générale, l’AS devrait vous dire quand il effectuera la visite, en donnant une fourchette horaire raisonnable (par exemple, «Je passerai tel mardi entre 13 et 16 heures») et en tenant compte de plusieurs contraintes (études, enfants à aller conduire ou reprendre à l’école, examens médicaux…).

Le fait que la circulaire ouvre la porte aux visites à l’improviste ne rend pas celles-ci acceptables pour autant. Cette circulaire n’est d’ailleurs, comme beaucoup d’autres, qu’une circulaire d’interprétation n’ayant aucune valeur légale puisqu’elle n’est pas publiée au Moniteur.

Nous estimons que les visites domiciliaires en matière de RI et/ou d’aides sociales devraient être encadrées légalement comme elles l’ont été (difficilement et de manière insatisfaisante, mais elles l’ont été) pour les chômeurs et les sans-papiers et leurs hébergeurs. C’est un de nos objectifs.

4. Les visites intrusives

Certains AS effectuent des visites à domicile très intrusives : inspection en règle de tout le logement, chambres à coucher, salle de bain, annexes de toutes sortes comprises ; ouverture des armoires et des frigos ; description détaillée, dans les Rapports sociaux, de ce qui se trouve dans le logement (en particulier ce qui pourrait sembler suspect du point de vue d’une cohabitation, de signes de «richesse» indiquant de possibles revenus non déclarés, d’absence de résidence réelle…). Il fut même un temps où, à titre d’exemple, un CPAS demandait aux AS de consigner dans le rapport social les signes de «suspicion d’aisance». Nous ne comptons plus les cas où la présence de chaussures masculines chez une femme isolée, de parfums féminins chez un homme isolé, de brosses à dents multiples dans la salle de bain, de vêtements n’appartenant «manifestement pas» au demandeur… est notée dans le rapport de visite à domicile.

Ce sont des pratiques inadmissibles qui ne respectent pas votre vie privée.

Autant la circulaire que de nombreux rapports d’inspection insistent d’ailleurs sur le fait que «la visite à domicile s’effectuera dans le respect de la vie privée du demandeur d’aide et sera proportionnée à l’importance du renseignement nécessaire pour mener l’enquête sociale. Elle sera réalisée dans le cadre de la relation de confiance nécessaire entre le travailleur social et le demandeur (…)».

Le fait que la phrase citée ci-dessus se termine, dans la parenthèse, par «ce qui n’empêche pas qu’elle puisse aussi avoir une fonction de contrôle afin de constater que le demandeur d’aide remplit (toujours) les conditions d’octroi telles que définies par la loi» n’y change rien.

Circulaire ou pas, il s’agit là pour nous d’une évidence : un AS n’a pas à fouiner dans votre vie privée, ni compter vos brosses à dents, ni examiner le contenu de votre panier de linge sale.

5. Au nom de la lutte contre la fraude sociale

Ce non-respect de votre vie privée est justifié par ce que les gouvernements successifs –et à leur suite de nombreux partis, institutions, citoyens…– appellent «la nécessaire lutte contre la fraude sociale». Les gouvernements en ont fait une priorité et sont parvenus à convaincre une partie importante de la population que «le tout-au-contrôle» des allocataires sociaux est justifié par le fait qu’il y a «beaucoup d’abus». Cette lutte contre la soi-disant fraude sociale aboutit le plus souvent à empêcher les personnes, qui en remplissent pourtant les conditions d’octroi, à ne pas bénéficier de leurs droits élémentaires –tels que le RI. Dans le même temps, les autorités refusent de s’en prendre à la grande fraude sociale (des employeurs) et encore moins à la grande fraude fiscale !

Cette importante question est évidemment traitée par notre association dans différents articles et dossiers.

Références légales

Arrêté royal du 1er décembre 2013 relatif aux conditions minimales de l’enquête sociale établie conformément à l’Article 9bis de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les Centres publics d’action sociale (Article 4), Moniteur belge du 14 mars 2014.

Arrêté royal du 1er décembre 2013 relatif aux conditions minimales de l’enquête sociale établie conformément à l’Article 19, §1er, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale (Article 4),  Monteur belge du 14 mars 2014.

Circulaire du 14 mars 2014 portant sur les conditions minimales de l’enquête sociale exigée dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale et dans le cadre de l’aide sociale accordée par les CPAS et remboursée par l’Etat conformément aux dispositions de la loi du 2 avril 1965.

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