Plusieurs organisations, collectifs d’associations et fédérations oeuvrant au quotidien pour promouvoir et défendre les droits humains ont interpellé la ministre Karine Lalieux au sujet des enfants en séjour légal d’un parent en séjour irrégulier à propos du droit à l’aide sociale pour l’enfant ou le parent

Madame Karine LALIEUX,
Ministre de l’Intégration sociale
et de la Lutte contre la pauvreté

Avenue de la Toison d’Or, 87 (10ème et 11ème ét.)

1060 Bruxelles


En copie à :

Monsieur Bernard DE VOS

Délégué général aux Droits de l’Enfant


Madame Caroline VRIJENS

Commissaire aux droits de l’enfant


Madame MarieColline LEROY

Présidente de la commission Affaires sociales


Bruxelles, le 24 novembre 2022
Vos réf :
Nos réf : SDJ/PYR/221121/202203

Personne de contact : PierreYves ROSSET (pyr@sdj.be).

Objet : Enfants en séjour légal d’un parent en séjour illégal Droit à l’aide sociale pour l’enfant ou le parent

Madame la Ministre,

Depuis plusieurs années, les acteurs de terrain et les associations du secteur des droits de l’enfant constatent que le droit à l’aide sociale de certaines familles est bafoué.


Le constat est le suivant : de nombreux CPAS refusent systématiquement l’octroi d’une aide sociale aux familles dont un enfant est belge, ou en séjour légal, lorsque le parent qui introduit la demande n’est pas en ordre de séjour. Ces décisions sont basées sur l’article 57, §2 de la Loi du 8 juillet 1976 limitant l’aide sociale accordée aux personnes en séjour illégal à la seule aide médicale urgente.

Par la présente, nous souhaitons attirer, dans un premier temps, votre attention sur les effets pervers engendrés par ce mécanisme de remboursement des aides sociales octroyées suite à une condamnation judiciaire et, dans un deuxième temps, vous soumettre une solution simple et légale.

Une disposition légale belge

Un mineur dispose d’un droit personnel à l’aide sociale sur base de l’article 1er de la loi organique des CPAS : Toute personne a droit à l’aide sociale. Celleci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cet article ne fait aucune distinction entre les personnes majeures et mineures. À ce propos, la Cour constitutionnelle prévoit que «puisque l’aide sociale doit prendre en considération l’ensemble des besoins de l’enfant, il
convient de tenir compte, pour la fixation de l’aide sociale à octroyer à cet enfant, de la situation familiale de cet enfant».

… et une norme supérieure européenne

La jurisprudence, constante et majoritaire, est claire : elle écarte l’application de l’article 57, § 2, sur la base du droit à la vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). En effet, le parent d’un enfant belge ou d’un enfant séjournant légalement en Belgique se trouve incontestablement confronté à une impossibilité
familiale de retour. Les CPAS doivent ainsi analyser l’octroi d’une aide sociale financière dans leur chef.


Nous ne doutons pas que les CPAS connaissent parfaitement le cadre légal et la jurisprudence y afférente. Pourquoi ces familles se voientelles alors systématiquement refuser leur droit à une aide sociale ? Cette pratique semble se fonder sur des raisons financières reconnues ouvertement par les CPAS. En effet, l’aide sociale sera prélevée sur les fonds propres du CPAS, à moins d’être octroyée suite à une condamnation judiciaire, dans quel cas, l’aide sera remboursée par le SPP intégration sociale. En définitive, les refus sont basés sur des considérations financières, et ce, au mépris du droit à l’aide sociale de ces familles.

Des décisions automatiques aux lourdes conséquences, tant humaines que financières

De notre point de vue, cette pratique amène à plusieurs dérives : elle prive tout d’abord de nombreux enfants et leurs familles de leurs droits sociaux fondamentaux. Sans doute les CPAS se reposentils sur la possibilité qu’ont les usagers d’introduire un recours auprès du Tribunal du travail. Néanmoins, c’est faire fi de la précarité de ce public pour lequel l’aide sociale est indispensable afin de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Ensuite, force est de constater que le nonrecours au droit de ce public précarisé est criant.En effet, les décisions prises par les CPAS sont illégales et amènent à ce que des familles, déjàprécarisées, restent sans aide financière. Trop peu de ces familles s’adressent aux services sociaux et/ou juridiques pour introduire des recours devant les juridictions du travail par défaut d’informations. Ainsi, certaines familles passent entre les mailles du filet et ne sont pas aidées, alors qu’elles y ont droit.
Enfin, concernant les ressources allouées, ces recours viennent engorger inutilement une justice déjà débordée et au bord de la rupture. Cela implique des coûts humains et financiers
inutiles et nuisibles pour l’État. En effet, un recours implique la mobilisation de la personne concernée, mais aussi celle de l’avocat, rémunéré dans le cadre de l’aide juridique gratuite, d’un représentant du CPAS, de trois magistrats de siège, d’un magistrat de l’auditorat du travail, ainsi que du greffe de la juridiction saisie. Cela est énergivore et chronophage pour tous ces acteurs, alors qu’une solution institutionnelle permettrait, d’une part, à ces familles d’avoir droit à l’aide sociale et, d’autre part, aux CPAS de remplir au mieux leurs missions.

Une solution simple et légale afin d’aider les CPAS à garantir le droit de ces familles à l’aide sociale


A la lumière des différents éléments apportés, nous vous demandons instamment de garantir le remboursement direct des aides sociales financières, et ce, sans passer par une condamnation des Tribunaux du travail. En effet, cela permettrait de pallier ce déni de droit pour les familles remplissant les conditions à l’aide sociale.


Dans l’attente d’un retour de votre part des suites données à cette interpellation, nous restons disponibles pour en discuter avec vous et vous soutenir dans la mise en œuvre des droits de ces familles en Belgique.


Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, à l’assurance de notre parfaite considération,


Signataires (par ordre alphabétique) :


Association de défense des allocataires sociaux (ADAS),

Association pour le Droit Des Étrangers (ADDE),

Atelier des droits sociaux (LADDS),

Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant (CODE),

Coordination et Initiatives Pour Réfugiés et Étrangers (Ciré),

Fédération des Service Sociaux (FdSS),

Ligue des Droits Humains (LDH),

Marche des migrant.e.s Région du Centre,

Monde des Possibles,

Les Services droit des jeunes (SDJ) de Bruxelles et de Wallonie (Liège, Mons, Charleroi,Namur et Arlon),

Service d’Action Sociale Bruxellois (SASB Siréas Group),

Service InforDroits de la Free Clinic,

Service InforDroits Solidarité contre l’exclusion,

Plateforme Mineurs en exil.

Annexe : jurisprudence


Droit à l’aide sociale pour impossibilité familiale de retour dans le pays d’origine :


Des tempéraments jurisprudentiels ont été apportés à l’application de l’article 57 §2 de la loi
du 8 juillet 1976 qui limite l’aide sociale accordée aux étrangers sans séjour à l’aide médicale urgente¹.


Lorsque les étrangers visés par cette disposition démontrent qu’ils se trouvent dans
l’impossibilité de quitter le territoire, pour des raisons médicales ou administratives, ou encore, lorsqu’une disposition légale interdit l’éloignement. En l’espèce, sur base de l’article 8 de la CEDH, il convient d’examiner concrètement, dans chaque cas d’espèce, si l’éloignement constitue une mesure disproportionnée portant atteinte au droit à la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la CEDH.


La jurispruden
ce des cours et tribunaux du travail considère qu’à partir du moment où un enfant est belge ou en séjour légal, et, partant, inexpulsable, et qu’un de ses parents est étranger, l’application de l’article 57 §2 de la loi du 8 juillet 1976 violerait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme : soit le demandeur obtempère à l’ordre de quitter le territoire en emmenant son enfant et le prive des relations avec l’autre parent ; soit il en confie la garde à ce dernier et, cet enfant en bas âge se trouve, de ce fait, privé de toute relation avec l’autre parent².


Quelques exemples de décisions : C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2007, R.G. 46.737 ; C. trav.
Bruxelles, 6 janvier 2011, R.G. 2009/AB/52.709 ; Trib. Trav. Brux., 6 août 2015, RG 15/4885 ; Trib. trav. Liège, 19 juin 2019, R.G. 19/8/A et 19/114/A ; Trib. Trav. Brux., 24 mars 2022, RG 21/3865.

Droit à l’aide sociale pour un mineur belge ou en séjour légal dont le parent est en séjour illégal :


Cour Constitutionnelle, arrêt n° 32/2006 du 1
er mars 2006 :


«Pour les raisons exposées en B.6.1 à B.6.4, le fait qu’une personne adulte en séjour illégal n’ait pas droit, pour ellemême, à une aide sociale complète n’est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Dès lors que l’enfant belge de cette personne a droit à une aide pour l
uimême, les articles 2.2 et 3.2 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ne sont pas violés. Il en va d’autant plus ainsi que le fait que le parent en séjour illégal d’un enfant qui séjourne légalement sur le territoire n’a pas de droit propre à une aide sociale complète n’implique pas qu’il ne faille tenir compte de la situation familiale spécifique lors de l’octroi de l’aide à l’enfant. Il appartient au centre public d’action sociale, dans les limites de sa mission légale, et, en cas de conflit, au juge de choisir le moyen le plus approprié pour faire face aux besoins réels et actuels du mineur, de manière à lui assurer la sauvegarde de sa santé et de son développement.

Dès lors que l’aide sociale doit prendre en considération l’ensemble des besoins de l’enfant, il convient de tenir compte, pour la fixation de l’aide sociale à octroyer à cet enfant, de la situation familiale de cet enfant, ainsi que, d’une part, de la circonstance que le droit à l’aide sociale de sa mère en séjour illégal est limité à l’aide médicale urgente et, d’autre part, également de la circonstance que le père a un devoir légal d’entretien à l’égard de son enfant.»

——————————————————

¹Article 57 § 2. Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d’action sociale se limite à : 1° l’octroi de l’aide médicale urgente, à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume ; 2° constater l‘état de besoin suite au fait que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, à l’égard d’un étranger de moins de 18 ans qui séjourne, avec ses parents, illégalement dans le Royaume.

² S. GILSON « Le droit à l’aide sociale des étrangers auteurs d’enfants belges », J.D.J, 2006., n°257, p.18.

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