Carte blanche parue dans le journal “Le Soir” du 26 novembre 2024 par Bernadette Schaeck (Association de défense des allocataires sociaux-aDAS) et Yves Martens (Collectif Solidarité contre l’exclusion ASBL Ensemble!)

Moyens insuffisants, personnel proche du burn-out et manque de transparence : beaucoup de CPAS souffrent de ces maux qui appellent des réformes globales.

Un récent documentaire de la VRT a attiré l’attention sur les dysfonctionnements d’un CPAS, celui de la commune d’Anderlecht. Défendant les droits des usagers des CPAS, nous connaissons bien la situation des allocataires qui s’adressent à cette institution, qui s’est dégradée malgré nos nombreuses interpellations auprès des mandataires locaux. Contrairement à la mise en scène de cette situation par les journalistes, ce CPAS n’est pas un « open bar » où les aides seraient octroyées sans conditions ni contrôles. En réalité, il est souvent extrêmement difficile pour les usagers d’y faire valoir leurs droits sociaux, avec régulièrement des délais de traitement de plusieurs mois pour des demandes liées à des besoins vitaux.

Les problèmes rencontrés, à des degrés divers, dans bien des CPAS, en particulier dans les communes populaires sont notamment les suivants : accueil dégradé, délais excessifs, pénuries de personnel, burn-out, perte de sens du travail social. Le cas d’Anderlecht, bien qu’il présente des spécificités locales, reflète un mal plus profond qui dépasse les seules responsabilités des gestionnaires communaux. Pour y remédier, il faut s’interroger sur les causes structurelles et proposer des solutions à différents niveaux de pouvoir. Les journalistes de la VRT ne l’ont pas fait.

Nous souhaitons contribuer à ce débat, dans le prolongement des 23 vœux pour l’amélioration du droit à l’intégration sociale que nous avons formulés en 2023 avec d’autres associations(1). Trois constats essentiels appellent des réformes structurelles : 1. Trop de missions ont été confiées aux CPAS, sans les moyens nécessaires pour les assumer. 2. Les conditions de travail du personnel des CPAS doivent être revalorisées et améliorées. 3. Une transparence doit être instaurée pour une meilleure gouvernance.

Donner à tous les CPAS les moyens d’assurer leurs missions

En 1976, la loi créant les CPAS leur a confié la mission de garantir à chacun le droit à l’aide sociale, c’est-à-dire de « mener une vie conforme à la dignité humaine ». Alors que les CPAS étaient initialement conçus comme un « dernier filet de protection » résiduaire par rapport à la Sécurité sociale, l’Etat fédéral a par la suite renvoyé de plus en plus de personnes vers ceux-ci. Entre 2003 et 2023, le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration (RI) a presque doublé en Belgique, notamment à la suite des restrictions de l’accès aux allocations de chômage. L’organisation de la solidarité vis-à-vis des personnes privées d’emploi a ainsi été de plus en plus mise à charge des pouvoirs communaux. Par ailleurs, les CPAS se sont retrouvés en première ligne face à toutes les crises sociales (covid, flambée des prix de l’énergie, inondations, guerre en Ukraine…) alors que l’Etat fédéral a été notoirement défaillant par rapport à certaines de ses responsabilités, comme pour l’accueil des demandeurs d’asile.

Parallèlement, l’octroi du Revenu d’Intégration (RI) est devenu plus conditionné et plus bureaucratisé. La plupart des bénéficiaires doivent désormais signer un Projet individualisé d’intégration sociale (PIIS), c’est-à-dire une forme de contrat qui porte notamment sur leur disposition au travail. Cette contractualisation de l’octroi des allocations, et le contrôle du respect de ce « PIIS », ont alourdi inutilement la charge administrative des CPAS et rend plus difficile l’accès à une aide pourtant essentielle pour survivre.

Le résultat est sous nos yeux à Anderlecht. Mais de nombreux CPAS d’autres communes populaires, en particulier en Région bruxelloise, particulièrement exposée, ne parviennent plus à assurer leur mission de façon satisfaisante et sont au bord de l’explosion. On n’y portera pas remède en coupant les têtes de quelques responsables locaux. La solution passe par des mesures d’ordre général et matériel.

Il faut, d’abord, cesser d’attribuer sans cesse de nouvelles charges aux CPAS. Il faut, ensuite, prévoir au niveau fédéral un financement intégral des frais liés à l’octroi du revenu d’intégration, qui ne doit plus être partiellement reporté sur les communes des bénéficiaires (actuellement 30 à 45 % du RI est à charge de celles-ci). Demander aux communes les plus pauvres de prendre elles-mêmes en charge les personnes en difficulté qui y résident n’est pas viable et c’est la négation de la solidarité nationale. Il faut, enfin, aller plus loin : l’octroi des allocations par les CPAS doit rester fondé sur le constat de l’état de besoin et sur des règles générales, sans y ajouter cette obligation de contractualisation individuelle, pernicieuse, absurde et chronophage pour les assistants sociaux.

Offrir au personnel des conditions de travail correctes et attractives

Le reportage de la VRT évoque la surcharge de travail des assistants sociaux, qui gèrent souvent chacun plus de 200 bénéficiaires au CPAS d’Anderlecht. Dans ces conditions, il est impossible d’assurer un suivi de qualité, ou même un suivi minimal. Ce constat dépasse Anderlecht, dans de nombreux CPAS le personnel est également à bout de souffle.

Pour permettre aux CPAS d’engager et conserver des AS, il faut non seulement leur octroyer le financement fédéral nécessaire, mais aussi rendre au métier son attractivité. Un nombre maximal de dossiers à suivre par assistant social doit être fixé. La relation d’aide doit être replacée au centre du métier, qui ne peut se transformer en une fonction axée principalement sur l’administration et le contrôle. Il faut également revaloriser le niveau de rémunération et faciliter l’accès à la statutarisation des agents. C’est en particulier le cas en Région de Bruxelles-Capitale, où la charge de travail est souvent plus lourde, avec de plus grandes exigences linguistiques, tandis que es barèmes sont plus bas et l’accès à un emploi statutaire plus difficile. Les CPAS ne peuvent pas fonctionner correctement si leurs agents sont en perte de sens de leur métier, au bord du burn-out et mal payés.

À lire aussi Le CPAS d‘Anderlecht, quelle misère…

Transparence et participation

Le manque de transparence dans la gouvernance des CPAS est un problème majeur. Si le secret des décisions individuelles d’aide est évidemment pleinement justifié, l’extension de ce secret à l’ensemble des délibérations du Conseil de l’action sociale, comme c’est le cas en Région bruxelloise et en Wallonie, ne l’est pas du tout. Les problèmes rencontrés par chaque CPAS et la façon dont il décide de les aborder devraient pouvoir faire l’objet de débats publics entre les représentants des différents partis, afin de donner à leurs électeurs et à la presse un droit de regard continu sur leur gestion.

Enfin, les associations indépendantes qui offrent une aide juridique de première ligne aux usagers jouent un rôle important tant pour aider chacun à faire valoir ses droits au CPAS que pour interpeller les institutions par rapport aux problèmes rencontrés. Elles méritent de recevoir un plus grand soutien au niveau local et régional, afin de leur permettre d’apporter leur contribution à l’amélioration des droits des usagers et du fonctionnement des CPAS en général.

Les problèmes mis en lumière au CPAS d’Anderlecht appellent des mesures globales concernant l’organisation des CPAS, tant au niveau fédéral que régional. A l’inverse, nous attendons des responsables politiques qu’ils s’opposent à tout accroissement de la charge des CPAS, que ce soit par le renvoi vers eux des chômeurs de longue durée ou par de nouvelles obligations administratives de contrôle. Toute charge nouvelle ne ferait qu’approfondir et étendre à l’ensemble des communes populaires la situation chaotique constatée à Anderlecht.

(1) https://www.liguedh.be/voeux-de-reforme-de-la-loi-concernant-

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