Revenu d’intégration et aide sociale :

Quel bilan du Gouvernement Michel ?

Décembre 2019

Le gouvernement Michel[1] avait dévoilé ses intentions dans l’Accord de gouvernement (AG). Il y expliquait la philosophie générale et fixait des objectifs assez précis.
Willy Borsus, alors Ministre de l’Intégration sociale, avait rédigé une Note d’orientation politique (NOP) présentée au Parlement en novembre 2014.

Sans surprise, la philosophie générale en était celle de l’Etat social actif (ESA), dont les piliers sont l’activation et la contractualisation.

L’activation:

Extraits de l’AG: «L’activation reste le fer de lance de la politique contre la pauvreté».
«Le travail est le meilleur remède contre la pauvreté».
En conséquence, il faut activer les bénéficiaires «afin d’éliminer au maximum les obstacles à l’emploi pour les bénéficiaires d’une allocation de chômage, d’une indemnité d’incapacité de travail ou d’invalidité ou d’une allocation sociale ».

Selon l’idéologie de l’ESA, les allocataires sociaux sont considérés individuellement responsables de leur situation de chômage ou de pauvreté. Il faut les «activer» pour qu’ils se sortent de cette situation. Ce ne sont pas les politiques d’austérité, les attaques contre la sécurité sociale, ni le chômage de masse, qui sont les causes des situations de chômage ou de pauvreté, mais des manquements individuels qu’il convient donc de corriger.
La responsabilisation individuelle va de pair avec la culpabilisation.

La contractualisation :

Le droit à un revenu est de plus en plus lié à des conditions subjectives, individuelles, voire arbitraires. C’est le cas – en revenu d’intégration – de l’obligation de signer un PIIS  (projet individualisé d’intégration sociale).
Comme le nom du dispositif l’indique, il s’agit d’un projet individualisé, en conformité avec la responsabilisation individuelle.

L’exposé des motifs de la loi concernant le droit à l’intégration sociale, évoquait l’idée de la contrepartie au droit : « Par l’expression “revenu d’intégration”, le législateur entend indiquer que le revenu est bel et bien la contrepartie de l’engagement de l’intéressé à s’insérer socialement dans la mesure du possible». «Le droit subjectif à l’intégration sociale est clairement incorporé dans un contrat avec la société. Le CPAS ne doit pas seulement être le dernier rempart contre l’exclusion sociale, il  doit surtout être un tremplin vers l’intégration sociale».
L’intégration sociale – qui n’est jamais définie concrètement – est donc devenue un devoir individuel, et n’est plus un droit collectif.

Le Gouvernement Michel s’est inscrit totalement dans cette politique d’activation et de contractualisation.

Les objectifs fixés dans l’AG et la NOP, ont-ils été réalisés?

On pourrait dire, en résumé, que presque tous les objectifs antisociaux ont été réalisés,  tandis que les quelques rares potentiellement positifs sont restés en rade. 

Par ailleurs, trois lois adoptées par le Parlement sous le Gouvernement Michel, ont été annulées grâce à des recours en Justice. Elles avaient trait au Secret professionnel, au Service communautaire et à la fusion Ville-CPAS.

Nous reprenons point par point les objectifs inscrits dans l’AG et indiquons ce qu’il en est advenu.

– l’élargissement du PIIS (projet individualisé d’intégration sociale).
La loi Borsus, entrée en application le 1er novembre 2016, a imposé la signature d’un PIIS à tous les nouveaux bénéficiaires. Jusque-là, le PIIS était imposé aux jeunes de moins de 25 ans (depuis 1993 avec la loi Onkelinx), et à tous les bénéficiaires auxquels le CPAS décidait de l’imposer selon ses propres critères (depuis 2002 avec la loi concernant le droit à l’intégration sociale).

l’instauration d’un service communautaire (SC), travail gratuit en contrepartie du droit au revenu d’intégration.
La même loi Borsus avait instauré ce dispositif, lui aussi entré en application le 1er novembre 2016.
Le SC a été annulé par un Arrêt de la Cour Constitutionnelle rendu en mai 2018, suite à un recours introduit par plusieurs associations et porté par une mobilisation unitaire menée pendant plus de deux ans.

– la mise en cause du secret professionnel.
Le Parlement avait voté une loi, proposée par le gouvernement Michel, obligeant les  travailleurs sociaux des CPAS et des institutions de sécurité sociale à dénoncer les personnes présentant un «soupçon sérieux de radicalisme».
Cette loi modifiant le Code pénal et le Code d’instruction criminelle, a elle aussi été recalée par la Cour Constitutionnelle suite à un recours introduit par de nombreuses associations et porté une large mobilisation unitaire.

– la liaison au bien-être (ce qui permet des augmentations hors index de toutes les allocations sociales).
Le Gouvernement Michel avait promis d’affecter l’enveloppe bien-être à 100%, critiquant au détour le Gouvernement Di Rupo qui l’avait rabotée. Les promesses n’ont pas été tenues. L’enveloppe a été systématiquement rabotée.

– l’évaluation des moyens de contrôle et de sanctions à l’encontre des CPAS par le fédéral.
Les rapports d’inspection du SPP Intégration sociale (rendus publics depuis 2014) pointent régulièrement des pratiques illégales adoptées par de nombreux CPAS. Mais aucune sanction n’est infligée à ceux-ci. L’ Accord de Gouvernement Michel aurait pu faire espérer que l’illégalité serait (enfin) sanctionnée. Il n’en a rien été.
Tout au plus, depuis la généralisation des PIIS à tous les bénéficiaires, le service d’inspection menace de retirer, ou retire, le subside supplémentaire de 10% accordé aux CPAS si toutes les contraintes liées au PIIS ne sont pas respectées.
Les seules sanctions appliquées par le Gouvernement Michel l’ont donc été pour non respect de la contractualisation. De sanctions en cas de non respect des dispositions légales en faveur des bénéficiaires, il n’a jamais été question.

– la politique en matière d’exonération socio-professionnelle.
Il s’agit de la manière dont les CPAS doivent prendre en compte les revenus socio-professionnels des bénéficiaires pour le calcul du montant du RI. Matière complexe s’il en est et  sujette à interprétations différentes d’un CPAS à l’autre. Matière dont les dispositions législatives sont largement défavorables aux usagers.
Une étude commanditée par le SPP Intégration sociale a été réalisée et publiée https://www.mi-is.be/fr/etudes-publications-statistiques/evaluation-du-et-recommandations-politiques-sur-le-systeme-de-0.
Les propositions faites par l’étude ont été jugées trop difficiles à mettre en application, et la question est restée en rade.

– l’égalité de statut entre les bénéficiaires du RI et de l’aide financière équivalente.
Les personnes qui sont inscrites au Registre des étrangers (et non au Registre de la population) ne remplissent pas la condition de nationalité pour l’octroi du RI. Elles peuvent  bénéficier d’une aide financière équivalente (ERIS ou ASE). En dépit du qualificatif équivalent , de nombreuses dispositions légales en matière de RI ne sont pas applicables à ces personnes de nationalité étrangère pourtant détentrices d’un droit de séjour de longue durée. En vue de comparer les deux régimes (RI et ERIS) dans l’optique d’une uniformisation, une étude avait été commanditée par le SPP Intégration sociale. Elle a été publiée en juin 2016  https://www.mi-is.be/fr/etudes-publications-statistiques/harmonisation-de-la-reglementation-en-matiere-de-droit-lintegration

Mais le droit au RI n’a pas été étendu à tous les étrangers résidant légalement sur le territoire. Il ne l’a été qu’aux seuls réfugiés bénéficiant de la protection subsidiaire (statut différent de celui de réfugié ONU) par la loi Borsus de novembre 2016.
L’ouverture du droit au RI pour ces bénéficiaires avait comme objectif, non pas de leur accorder des droits égaux, mais de pouvoir leur imposer la signature d’un PIIS et un Service communautaire!
Les autres étrangers non-inscrits au Registre de la population sont restés exclus du droit au RI, sous la pression de la NVA.

– l’adaptation de la réglementation «aux formes actuelles de vie commune et/ou de soins», à savoir cohabitation et/ou coparentalité.
Cet objectif de l’Accord de gouvernement aurait pu faire croire à une remise en question, au moins partielle, du statut de cohabitant et de ses conséquences désastreuses. Il n’en a rien été.

– l’augmentation des moyens financiers accordés aux CPAS.
Le Gouvernement Michel a accordé aux CPAS des compensations importantes aux augmentations de charges dues aux exclusions des allocations de chômage et aux fins de droit en allocations d’insertion. Si elles restent largement insuffisantes, elles ont toutefois été nettement plus conséquentes que par le passé.
Le Gouvernement a par ailleurs  accordé des moyens financiers supplémentaires pour chaque PIIS signé (10% de remboursement supplémentaire du RI pendant un an, renouvelable une fois sous certaines conditions). Ces subsides représentent des dépenses très importantes, contre-productives de notre point de vue puisqu’elles alimentent la politique de contractualisation, alors que les CPAS manquent cruellement de moyens financiers et humains pour assurer des missions vraiment sociales.

– l’application des recommandations politiques contenues dans l’étude de 2014 sur la lutte contre la fraude sociale.
Ces recommandations sont, dans l’ensemble, imbuvables. Citons les visites à domicile en dehors des heures de bureau, l’accès direct pour les CPAS aux informations sur la DIV (immatriculation des véhicules) et sur les comptes bancaires, le développement des échanges avec la police, … Elles n’ont, heureusement, pas été coulées en forme de lois.

– la fusion Ville CPAS, nommée dans l’AG «intégration organique des administrations communales et des CPAS».
La proposition de fusion introduite par le Gouvernement Michel a été recalée par le Conseil d’Etat. Seule une majorité des deux tiers (dite majorité spéciale) aurait pu faire passer cette mesure.
Le Gouvernement Michel ne disposait pas d’une majorité aussi importante au Parlement pour pouvoir faire voter cette loi.

– la poursuite du développement du dossier social électronique (DSE).
Il s’agit d’informations transmises d’un CPAS à l’autre via la Banque carrefour de la sécurité sociale (BCSS) en cas de déménagement d’un usager. Les informations contenues dans le DSE restent encore limitées, mais de nouvelles matières sont censées y être ajoutées progressivement. Justifié par un examen plus facile du droit au RIS, il risque de permettre l’échange d’informations de type «comportemental» (sanctions, contenu du PIIS, disposition au travail, motifs de retrait…).
A ce jour, peu d’informations ont filtré sur l’avancement du DSE.

– la révision de l’AMU, Aide médicale urgente.
Il s’agit du seul droit encore accessible aux étrangers sans autorisation de séjour (les sans-papiers). «La notion d’urgence doit être revue», disait l’Accord de gouvernement. Il semble que peu de choses aient changé sous le Gouvernement Michel, que ce soit en bien ou en mal. Les droits des sans-papiers n’ont, en tout cas, pas été améliorés.

– le relèvement des montants du RIS.
L’AG prévoyait de «porter progressivement les prestations minimales de sécurité sociale et l’aide sociale au niveau du seuil de pauvreté européen.».
A bien lire le texte, l’intention n’était pas de relever toutes les allocations au-delà du seuil de pauvreté. Le texte comportait des nuances et des limites. Et l’objectif n’avait pas été budgété.
Zuhal Demir, Secrétaire d’Etat à la pauvreté, avait d’ailleurs déclaré en 2017 déjà, que cet objectif ne serait pas atteint. Elle avait été contredite quelques jours plus tard par le premier Ministre, Charles Michel.
L’objectif n’a pourtant pas été atteint du tout par le Gouvernement Michel.

——-

Willy Borsus, Ministre MR de l’Intégration sociale sous le Gouvernement Michel, a quitté ce poste pour celui de Ministre Président du Gouvernement wallon. Il a eu beaucoup de suite dans les idées anti sociales pendant la durée de son mandat ministériel fédéral!

Denis Ducarme lui a succédé pour le reste de la législature. Il n’a pas adopté de nouvelles mesures – ni bonnes ni mauvaises – pendant la durée de son mandat. Il était tout simplement absent…

Lien vers l’Accord de gouvernement du 9 octobre 2014 http://www.premier.be/sites/default/files/articles/Accord_de_Gouvernement_-_Regeerakkoord.pdf

[1]    Le Gouvernement Michel a existé de octobre 2014 à décembre 2018. Il était formé d’une coalition entre le MR, la NVA, le CD&V et l’Open VLD. Remanié en décembre 2018 suite au départ de la NVA, il a fonctionné jusqu’en octobre 2019.

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