«Article 60» : Un vrai contrat de travail ou un sous-statut?
L’ «Article 60» est une mise à l’emploi par le CPAS de bénéficiaires du RI (revenu d’intégration) ou de l’ASE (l’aide sociale financière équivalente). La dénomination vient du fait que la loi de 1976 (dite «loi organique des CPAS») prévoit cette possibilité dans son article 60§7.
Lorsque vous êtes engagé⋅e sous ce statut, le CPAS est l’employeur.
Vous pouvez travailler au CPAS même, mais vous pouvez aussi être «mis⋅e à disposition» d’un autre employeur nommé «utilisateur» : communes ; ASBL ; ASBL ou intercommunales à but social, culturel ou écologique ; sociétés à finalité sociale ; un autre CPAS ; un hôpital public ; une initiative agréée d’économie sociale ; tout autre partenaire qui a conclu une convention avec le CPAS ; et même une entreprise privée.
Mais c’est toujours avec le CPAS que vous signez le contrat de travail.
Une «mise à disposition» : quelles conséquences ?
Si vous êtes «mis⋅e à disposition», le CPAS signe une convention avec l’ «utilisateur». La convention détermine toute une série de choses (les tâches qui vous seront confiées, les horaires, l’autorité sous laquelle vous êtes placé⋅e, les évaluations…). Elle détermine aussi le montant de l’intervention financière que l’utilisateur versera au CPAS en échange de votre mise à disposition. Le montant est négocié entre le CPAS et l’utilisateur; il n’est fixé par aucune disposition de la loi.
Le CPAS est, dans tous les cas, votre employeur. Le règlement de travail applicable est celui du CPAS. Cela entraîne, par exemple, que l’utilisateur ne peut pas vous faire prester du travail de nuit ou de week-end si ce n’est pas prévu dans le règlement de travail du CPAS.
L’utilisateur peut mettre fin à la convention avec le CPAS pour des motifs qui lui sont propres. Il peut aussi le faire sur base d’une ou plusieurs évaluations négatives. La convention est alors rompue, le CPAS ne peut pas en imposer la poursuite contre la volonté de l’utilisateur. Il peut toutefois vous affecter à d’autres tâches au sein même du CPAS, ou vous mettre à disposition d’un autre utilisateur.
Le fait que votre employeur est le CPAS, mais que vous travaillez chez un tiers, crée souvent beaucoup de confusions et de problèmes dans la répartition des responsabilités entre l’un et l’autre.
Un contrat de travail d’une durée limitée, le plus souvent à temps plein.
* Le contrat de travail en «Article 60» est –le plus souvent- établi pour le nombre de jours nécessaires pour ouvrir le droit aux allocations de chômage. La durée est fixée en fonction des règles générales qui s’appliquent aux allocations de chômage. A savoir qu’il faut avoir travaillé 12 mois (dans les 21 mois qui précèdent) si vous avez moins de 36 ans ; 18 mois (dans les 33 mois) si vous avez entre 36 et 49 ans ; 24 mois (dans les 42 mois) si vous avez plus de 50 ans.
Le contrat doit être à temps plein. (sauf exception voir ci-dessous)
Il peut être un CDD (contrat à durée déterminée) avec une date de début et une date de fin.
Il peut aussi être un CDI (contrat à durée indéterminée) avec «clause résolutoire». Ça signifie qu’il ne comporte pas une date précise de fin de contrat, mais il indique que le contrat prendra automatiquement fin à partir du jour où vous aurez droit aux allocations de chômage. En cours de contrat, il peut se passer des événements qui prolongent la période de 12, 18 ou 24 mois nécessaires pour ouvrir le droit au chômage (jours de maladie non indemnisés par la mutuelle ; jours d’absences pour motifs personnels non payés ; survenance de votre anniversaire ; vous faisant passer d’une catégorie à une autre nécessitant une plus longue durée de contrat…).
Le CDI avec «clause résolutoire» est donc une bonne solution pour éviter les problèmes en fin de contrat.
* Un contrat «Article 60» peut aussi être conclu pour un temps partiel. Il doit, dans ce cas, être d’au moins un mi-temps et ne peut durer plus de 6 mois. L’objectif déclaré étant alors -non pas de permettre d’avoir droit aux allocations de chômage– mais de «favoriser une expérience professionnelle». Pareil contrat ne peut être conclu qu’une seule fois pour une même personne.
Un droit ou une obligation ?
* La mise à l’emploi en «Article 60» n’est pas une obligation pour le CPAS. Celui-ci décide s’il utilise ou non cette possibilité qui lui est offerte par la loi. Il apprécie «souverainement» à quel bénéficiaire il le propose ou l’impose. Il en décide en fonction de plusieurs critères : possibilités d’engagements dans ses propres services ou chez des utilisateurs ; votre «profil» (formation, compétences, personnalité…) ; votre «motivation»…
* Un engagement en «Article 60» n’est donc pas à proprement parler un droit. Il n’empêche qu’il s’agit d’une possibilité prévue par la loi, et vous pouvez le demander au CPAS. Vous pouvez introduire un recours au Tribunal du travail contre une décision de refus. Il n’existe que peu de jurisprudence sur cette question. Il est donc difficile d’évaluer les chances de gagner un recours.
* Si vous proposez vous-même au CPAS de vous engager dans un projet que vous avez construit, ou chez un utilisateur que vous connaissez et qui est prêt à vous engager, l’octroi de l’ «Article 60» est souvent refusé. C’est généralement le cas lorsque l’utilisateur que vous proposez ne peut pas – ou ne veut pas – verser une contribution financière au CPAS en échange de votre mise à disposition.
* Si engager sous le régime de l’ «Article 60» n’est pas une obligation pour le CPAS, accepter un tel contrat est par contre souvent une obligation pour vous. En effet, si vous refusez l’emploi, cela risque d’être considéré comme démontrant chez vous une absence de «disposition au travail», une des 6 conditions d’octroi du RI. Vous disposez certes de quelques «garanties» de procédure : un délai de réflexion de 5 jours avant de signer le contrat ; le droit d’être accompagné⋅e par la personne de votre choix lors de la négociation du contrat ; le droit d’être entendu⋅e par le Conseil si vous contestez l’obligation d’être mis⋅e au travail ou si vous contestez les modalités concrètes de cette mise au travail. Ces quelques maigres «garanties» de procédure pèsent peu face aux risques de sanction ou d’exclusion en cas de refus de mise à l’emploi.
Quel barème ? Quelles tâches ?
Le barème, qui fixe votre salaire, est déterminé par le CPAS. Il est laissé à sa totale appréciation. Il doit évidemment accorder au moins le SMMG (le salaire minimum garanti) imposé par la loi. C’est la seule contrainte. Il accorde ce qu’il décide d’accorder, sans devoir tenir compte de votre formation ou de votre diplôme. Il n’est donc pas rare que des travailleuses et travailleurs en «Article 60» perçoivent un salaire qui ne correspond pas à leurs qualifications.
Il n’est pas rare non plus que le CPAS ne vous accorde pas les avantages extra-légaux auxquels ont droit les autres travailleuses et travailleurs. Par exemple : une prime de fin d’année, des jours de congé qui s’ajoutent aux congés légaux…
Lorsque vous travaillez au CPAS ou à la commune, vous y exercez le plus souvent des tâches d’entretien ou administratives. On ne compte pas les femmes obligées de travailler comme «techniciennes de surface» dans les locaux des CPAS et communes – en particulier dans les homes pour personnes âgées. On ne compte pas les hommes obligés de travailler dans les différents services d’entretien de la commune.
Contrat de travail ou aide sociale ?
Un contrat en «Article 60» est un «vrai» contrat de travail. Il est soumis à toutes les règles –elles sont nombreuses !- déterminées par la loi relative aux contrats de travail (loi du 3 juillet 1978). Toutefois, pendant la durée du contrat, vous êtes toujours bénéficiaire du DIS (Droit à l’Intégration sociale), pas du RI (revenu d’intégration) puisque vous avez un salaire.
Une situation hybride qui n’est pas sans conséquences.
Par exemple, si vous êtes mis⋅e à disposition, des évaluations régulières se font entre le CPAS et l’utilisateur. Elles ne sont pas imposées par la loi (contrairement aux évaluations du PIIS), mais elles ont lieu étant donné que le CPAS signe généralement une convention en ce sens avec l’utilisateur.
Autre exemple de ce statut hybride : dans de nombreux CPAS, vous êtes aussi «suivi⋅e» par le service d’insertion professionnelle pendant toute la durée du contrat en «Article 60». Il n’y aurait rien à redire si ce suivi se faisait sur base volontaire. S’il est indéniable que, dans un certain nombre de cas, cet accompagnement peut vous apporter un «plus», il révèle aussi que vous êtes soumis⋅e, en tant qu’ «Article 60», à des contraintes spécifiques qui ne sont pas applicables aux autres travailleuses et travailleurs.
Toutefois, nous le disons à nouveau, vous êtes une travailleuse, un travailleur à part entière. Cela signifie, entre autres, que vous pouvez déménager sur une autre commune, ou encore que votre situation familiale peut changer (par exemple, vous vivez avec une personne qui a des revenus) : dans tous ces scénarios, le contrat de travail se poursuit dans les mêmes conditions.
Qui peut être engagé⋅e dans un contrat «Article 60» ?
Tout⋅e bénéficiaire du DIS (droit à l’intégration sociale) et de l’ASE. Cela signifie donc que -si vous êtes de nationalité étrangère ayant un titre de séjour (si vous êtes inscrit⋅e au Registre des étrangers, étrangères) et que vous êtes bénéficiaire de l’aide sociale financière- vous pouvez être engagé⋅e dans un contrat «Article 60», ce que contestent un certain nombre de CPAS.
Le CPAS peut-il vous faire faire un stage avant la signature du contrat ?
Plusieurs CPAS imposent un «stage» avant de conclure un contrat de travail. Vous recevez alors le plus souvent 1 euro l’heure plus le remboursement des frais de déplacement.
Cette pratique est illégale. Ce n’est pas un «stage», mais du travail au noir, non déclaré à l’ONSS. Plusieurs rapports du service d’inspection du SPP «Intégration sociale» le déclarent sans ambiguïté. Ils indiquent même que les CPAS, qui le font, sont passibles de sanctions pénales.
Une des justifications données, par les CPAS qui imposent ces stages, est assez hypocrite : ces derniers permettraient de vous rendre compte par vous-même si l’emploi vous convient. Disons que c’est plutôt, le plus souvent, le CPAS – ou l’utilisateur – qui veut vérifier si vous leur convenez ou pas…
La question s’est amplifiée depuis que la loi ne permet plus de clause d’essai dans un contrat. Toutefois, si votre CPAS ne veut pas vous engager d’emblée dans un contrat de la durée nécessaire à l’ouverture du droit aux allocations de chômage, il peut vous engager dans un CDD (contrat à durée déterminée) de durée plus ou moins courte. Et s’il estime que vous ne convenez pas en cours de contrat, il peut vous licencier en respectant toutes les dispositions légales qui existent à ce sujet. Il n’a donc aucune justification à vous imposer un stage. Et de toute façon, c’est illégal. Ça devrait suffire à ce qu’il ne vous l’impose pas, non ?
Les seuls «stages» autorisés sur un lieu de travail sont ceux qui sont organisés par les Services régionaux de l’emploi (Forem, Actiris, Arbeitsamt, VDAB). Ils diffèrent d’un Service régional à l’autre.
Contrat de travail ou sous-statut ?
La mise à l’emploi en « Article 60» est souvent présentée par les CPAS comme une voie «vers une intégration durable vers l’emploi». Nous pensons qu’il n’en est rien. La plupart des personnes ayant travaillé avec ce statut se retrouvent au chômage. Quelques-unes sont engagées au CPAS ou chez l’utilisateur au terme de l’ «Article 60 », mais c’est une toute petite minorité. Et cette petite minorité aurait pu être engagée directement dans un «vrai» contrat de travail sans passer par la case «Article 60».
Ces contrats sont des contrats très précaires.
* ils sont toujours à durée déterminée
* ils sont rémunérés à un barème très bas
* ils aboutissent le plus souvent à ce que vous deveniez chômeur, chômeuse, que vous «passiez d’une caisse à une autre»
* le CPAS vous place souvent dans des postes qui devraient être occupés par des travailleurs, travailleuses contractuel⋅les ou statutaires (agent⋅es nommé⋅es)
* le CPAS ne paie pas de cotisations patronales à la Sécurité sociale, ce qui participe au sous-financement de celle-ci.
Défendre vos droits
Les travailleurs, travailleuses en «Article 60» sont le plus souvent peu ou mal défendu⋅es, voire pas défendu⋅es du tout.
Souvent,elles, ils ne sont pas syndiqué⋅es. Quand elles, ils le sont, leur syndicat n’est pas très présent.
Le fait d’être éparpillé⋅es dans de nombreuses structures, où le CPAS met les allocataires à disposition, rend les choses plus difficiles.
Détaché⋅e en «Article 60», vous êtes alors souvent isolé⋅e. Vous travaillez avec des collègues qui dépendent d’un autre employeur, celui auprès duquel vous êtes mis⋅e à disposition.
Si vous travaillez au CPAS même, vous êtes souvent considéré⋅e comme un travailleur, une travailleuse «à part».
En conséquence, une tâche énorme doit être accomplie en termes d’information et de défense. Dans beaucoup de CPAS, cet objectif reste à construire.
Sur cette question, voir aussi :
Extraits de rapports d’inspection à propos des stages avant « Article 60 »
Boîte à outils
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