Des CPAS obligent systématiquement les usager·es à fournir leurs extraits de comptes bancaires des 3 mois précédents – qu’en pense le SPP IS?
Le SPP Intégration sociale a publié en 2015 sur son site une FAQ (Foire aux questions ou encore Questions fréquemment posées) donnant une réponse claire à propos de l’obligation faite par des CPAS à leurs usager·es de fournir les extraits de compte :
« Est-ce que le CPAS peut demander dans le cadre de son enquête sociale systématiquement des extraits de compte des trois mois précédents? 21/09/2015
Non.
Même si l’examen des ressources constitue une partie indéniable de l’enquête sociale, il n’est pas permis au centre de demander systématiquement à l’intéressé des extraits de compte des trois mois précédents.
Une pratique pareille constitue une ingérence dans la vie privée de l’intéressé. Celui-ci ne peut pas être obligé de donner un aperçu de ses dépenses mensuelles. Sinon ceci impliquerait que le CPAS ajouterait une condition à la loi qu’elle ne prévoit pas.
Au moment de la demande, le CPAS doit contrôler si l’intéressé remplit les conditions stipulées par la loi, entre autres s’il dispose ou peut disposer des ressources suffisantes à ce moment. Le CPAS peut obtenir un aperçu des ressources de l’intéressé par d’autres moyens que par des extraits de compte (par exemple la BCSS).»
Depuis lors, le service d’inspection du SPP Intégration sociale indique fréquemment dans ses rapports que les CPAS ne peuvent pas exiger systématiquement la fourniture de tous les extraits de comptes bancaires.
Au fil des années, cette question est de plus en plus souvent incluse dans la problématique plus vaste des pièces justificatives exigées par les CPAS. Ces derniers réclament souvent des documents qui ne devraient pas l’être. Soit parce qu’ils représentent une intrusion dans la vie privée (par exemple, les extraits de compte), soit parce qu’ils ont trait à des questions qui ne sont pas des conditions d’octroi du RI (par exemple, fournir un budget complet et la liste complète des dépenses), soit parce que les informations visées par ces pièces justificatives peuvent être obtenues par d’autres moyens (par exemple, une composition de ménage).
Nous reprenons, ci-dessous, des extraits de quelques rapports d’inspection. Nous commençons par celui du CPAS d’Etterbeek en 2019, parce qu’il reprend l’essentiel de ce qui se trouve dans les autres rapports, souvent à l’identique. Nous complétons par des extraits de quelques autres rapports qui apportent des précisions ou des remarques spécifiques formulées au CPAS inspecté. Nous soulignons dans chacun ce qui s’ajoute à celui du CPAS d’Etterbeek de 2019.
Les CPAS cités dans cette « Fiche infos » ne sont pas les seuls concernés. Rien qu’en 2020 par exemple, sur 115 CPAS inspectés, 50 étaient épinglés pour avoir exigé les extraits et/ou des pièces justificatives inutiles.
Le nombre de CPAS épinglés par année tend à diminuer. C’est le résultat de la lutte menée pour que cessent ces intrusions dans la vie privée. Mais la lutte doit se poursuivre, de nombreux CPAS exigeant toujours la fourniture de tous les extraits, certains le faisant en catimini afin que ça n’apparaisse pas lors des inspections.
N’hésitez pas à utiliser ces extraits de rapports d’inspection en les transmettant à votre AS et à votre CPAS.
CPAS d’Etterbeek – Rapport d’inspection 2019
« L’inspection a pu constater que votre centre exige de la part du demandeur de produire l’ensemble de ses extraits de comptes bancaires afin d’examiner son droit potentiel. S’il va de soi que l’examen des ressources du bénéficiaire fait partie de l’enquête sociale et que les copies d’extraits sur lesquels apparaissent les éventuelles ressources mensuelles peuvent être réclamées, ces preuves peuvent aussi être obtenues par d’autres moyens dont les fiches de salaire, le relevé du syndicat, des caisses de paiement ainsi que les flux BCSS.
En outre, exiger la production systématique des 3 derniers mois d’extraits de compte complets constitue une ingérence dans la vie privée de l’usager qui n’est pas acceptable, un bénéficiaire du droit à l’intégration sociale n’a pas l’obligation légale de présenter et justifier ses dépenses mensuelles au CPAS.
De même, conditionner l’octroi ou la prolongation du DIS à la production de ces éléments n’est pas correct ; c’est l’article 3 de la Loi du 26/05/2002 qui énumère les 6 conditions d’octroi du droit à l’intégration sociale et il n’appartient pas à votre centre d’en ajouter de nouvelles.
A plusieurs reprises, les tribunaux du travail se sont prononcés en ce sens que les CPAS ne peuvent exiger de manière systématique que tout demandeur produise ses extraits de compte lors des révisions de dossier ; cette exigence n’est légalement justifiée que s’il existe des indices concrets et objectifs permettant de douter des déclarations de l’intéressé quant à l’étendue de ses ressources.
De même, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 03/09/2016, a jugé qu’une enquête bancaire approfondie ne se justifie pas en l’absence d’indices suffisants de dissimulation des ressources. Il est impératif pour le service social de revoir ses pratiques en la matière.
Lors des prochaines inspections, l’inspecteur/inspectrice sera particulièrement attentif/attentive à ce que ce type de demande ne soit plus formulée que dans d’exceptionnelles situations telles que définies par le Cour de Cassation. Le rapport social devra expliciter en quoi des indices suffisants, concrets et objectifs de dissimulation de ressources existent ».
CPAS d’Eghezée – Rapport d’inspection 2020
Demande des extraits des trois mois précédant la première demande « En outre, exiger la production systématique des 3 derniers mois d’extraits de compte complets constitue une ingérence dans la vie privée de l’usager qui n’est pas acceptable, un bénéficiaire du droit à l’intégration sociale n’a pas l’obligation légale de présenter et justifier ses dépenses mensuelles au CPAS. Il en va de même en ce qui concerne la production de la carte bancaire et du digipass ».
CPAS de Grâce-Hollogne 2020
« L’inspection a pu constater que votre Centre continue à exiger de la part du demandeur de produire l’ensemble de ses extraits de comptes bancaires afin d’examiner son droit potentiel, dans des situations pour lesquelles le rapport social n’explicite pas en quoi des indices suffisants, concrets et objectifs de dissimulation de ressources existent. Ponctuellement, votre Centre vérifie l’état d’indigence pour les mois précédant l’introduction de la demande de DIS. L’inspectrice a également relevé plusieurs dossiers dans lesquels vos agents se sont connectés à la session bancaire du demandeur. Il est impératif pour le service social de revoir ses pratiques en la matière, comme cela a déjà été demandé lors de l’inspection de 2017 ».
CPAS de Beaumont 2022
« Demande des extraits des trois mois précédant la première demande: L’examen du droit doit tenir compte des ressources présentes au moment de la demande ; il n’est pas légalement prévu de tenir compte des ressources « passées » ; dès lors seul peut être demandé l’extrait (compte courant/éventuel compte d’épargne) du jour de la demande et non pas des deux mois qui précèdent la demande.
Le DIS est un droit et le CPAS ne peut émettre un jugement de valeur sur les dépenses du demandeur dans les mois qui précèdent sa demande. Il est impératif pour le service social de revoir ses pratiques en la matière ».
CPAS de Hotton 2022
« Pour l’examen du droit, il est nécessaire de tenir compte des ressources présentes au moment de la demande. Dès lors, seuls les soldes des comptes bancaires et comptes d’épargne peuvent être demandés. L’analyse des ressources (bien immobilier, emploi…) peut se faire via d’autres moyens que les extraits de compte, notamment les flux de la Banque carrefour (BCSS).
Par ailleurs, l’analyse du droit doit se limiter à identifier de potentielles ressources, le demandeur n’est nullement tenu de présenter et justifier ses dépenses mensuelles au CPAS. »
« L’inspection tient également à souligner qu’en tant que responsable de traitement de données à caractère personnel, le CPAS doit respecter les principes du RGPD, et plus particulièrement, celui visé à l’article 4, § 1er, c, du RGPD à savoir que les données doivent être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ».
Ci-dessous nous reprenons la réponse de Karine Lalieux à M-C Leroy sur “L’exigence des extraits de comptes dans le cadre des enquêtes sociales des CPAS”
Question de Marie-Colline Leroy à Karine Lalieux (Pensions et Intégration sociale) sur “L’exigence des extraits de comptes dans le cadre des enquêtes sociales des CPAS” (55023383C)
Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): Partout, il nous revient des témoignages de demandeurs nouveaux bénéficiaires du CPAS, choqués par les procédures des enquêtes sociales. Chaque commune a ses méthodes. Ici, on demande systématiquement des extraits de compte lors de l’élaboration d’un dossier de R.I.S, ici jamais. Ailleurs, on ne le demande pas pour un dossier R.I.S mais bien pour un dossier qui concerne des aides ponctuelles.
Certaines voix s’élèvent. D’après elles, c’est une intrusion dans la vie privée. Pour ce qui est de la circulaire qui concerne la loi du 26 mai 2002, réactualisée en 2015, et qui concerne le droit à l’intégration sociale, voici ce qui est dit quant au formulaire type de l’enquête sociale : L’AS peut demander “Tous les renseignements relatifs à l’identité et à la situation matérielle et sociale de l’intéressé et de chaque personne avec qui il cohabite et dont les revenus peuvent ou doivent être pris en considération par le CPAS.” Parle-t’on d’une demande de renseignement ou d’extraits de compte?
Suite à l’évaluation du PIIS, avez-vous pu considérer cette problématique sous un angle particulier ?
Avez-vous l’intention d’harmoniser les pratiques?
Êtes-vous favorable à davantage de respect de la vie privée, ce compris les choix financiers posés, pour les bénéficiaires du RIS ?
Karine Lalieux, ministre: Madame Leroy, votre question est l’occasion pour moi de rappeler qu’exiger la production systématique des extraits de compte complets constitue une ingérence dans la vie privée de l’usager qui n’est pas acceptable et qu’un bénéficiaire du droit à l’intégration sociale n’a pas l’obligation légale de présenter et de justifier ses dépenses mensuelles au CPAS. Vous m’aviez posé cette question. Donc, je vous le redis: seule une fraude ou une suspicion de fraude permet à un CPAS d’exiger les extraits de compte d’un allocataire social. En dehors de ce cas de figure, il s’agit d’une pratique qui n’est pas acceptable du tout. Ceci a d’ailleurs été confirmé par la jurisprudence. Je demande à mon administration de vérifier les pratiques que vous me signalez et d’intervenir si nécessaire.
Marie-Colline Leroy (Ecolo-Groen): Madame la ministre, je vous remercie pour cette réponse très claire, très ferme et que je
trouve essentielle. En effet, j’ai été moi-même particulièrement étonnée par ce que vous avez aussi qualifié d’ingérence dans la vie privée et dans les modes de consommation des personnes qui, sous prétexte qu’elles seraient en situation de précarité, devraient justifier tout acte de consommation. Je trouvais cela particulièrement difficile.
Vous me dites qu’il est possible de signaler ce genre de pratique à l’administration. Celle-ci se mettra alors en contact avec ces CPAS, aussi pour les soutenir dans des procédures qu’ils maîtrisent peutêtre différemment ou mal. Je ne manquerai pas dès lors de renvoyer vers l’administration.
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