J’AI DE LA CHANCE, ALORS POURQUOI SUIS-JE TELLEMENT EN COLÈRE? ET POURTANT, J’AI UN GOÛT AMER DANS LA BOUCHE

J’ai de la chance. J’ai pu faire les études que je voulais en bénéficiant du Revenu d’Intégration Sociale. C’est vrai, je suis chanceuse, j’en ai bien conscience. Alors pourquoi je suis tellement en colère ?

J’ai voulu commencer mes études en 2009. J’étais bénéficiaire du CPAS au secondaire déjà. J’ai eu mon CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur) à 19 ans. Je voulais faire l’université après, je le savais depuis toujours. Mais avant je voulais faire un voyage.

Alors j’ai arrêté le CPAS. J’ai bossé comme une folle sans rien dépenser à part le strict minimum et je suis partie avec mon gain en Amérique du sud, voyager pendant six mois. Je suis revenue à quasi vingt et un ans. J’ai trouvé une colocataire dans le Brabant Wallon. Je me suis inscrite au CPAS pour pouvoir commencer les études dont je rêvais depuis toujours.

Là, le froid est tombé. En travaillant, j’avais ouvert mes droits au chômage sans le savoir. Je ne pouvais pas revenir “comme ça” et demander qu’on me finance mes études. Je devais chercher un travail et faire mon stage d’attente (nous sommes en 2009. Le stage d’attente est ce qui correspond aujourd’hui au stage d’insertion. Sauf que ce dernier est de douze mois et qu’il faut réussir deux évaluations consécutives pour avoir droit aux allocations de chômage d’insertion. Le stage d’attente durait neuf mois).

J’avais beau leur expliquer, que je suis passionnée, que je n’ai jamais eu de doute sur ce à quoi je voulais me consacrer.

Non. Ils m’ont tendu une petite liste de métiers en pénurie.

Cette année-là, je suis allée presque tous les jours, pour appuyer ma demande. Était-ce si extraordinaire de faire une pause entre le secondaire et le supérieur pour s’enrichir d’une expérience telle qu’un grand voyage ?

Non. Mais après, demander de l’aide, « faut pas pousser Mlle » ! Ma demande est acceptée. Mais je n’ai pas de réponse définitive. L’année avance. On est fin août 2010. Toujours rien.

Je demande un entretien avec le président du CPAS qui l’accepte. J’avais vingt et un ans. Je ne me rendais pas compte de ce qu’il me disait. 080. Et moi, en pleurs, « je croyais que la Belgique était un Etat de droit.

Je ne le savais pas à ce moment-là, mais ce n’était pas l’attitude à avoir. Celle qu’il faut avoir c’est « bien misérable ». Si tu essaies de garder la tête haute, j’allais le découvrir, on te la rabaisse bien gentiment.

Bref, finalement je me suis inscrite à l’ULB (Université Libre de Bruxelles) sans avoir de réponse. Le CPAS ne m’accorde son soutien définitif qu’en octobre. Passionnée, je me suis inscrite en double cursus pour le Bachelier. Ça, au CPAS, ils n’aiment pas. Alors faut pas trop insister dessus, même avec un bulletin sans notes en dessous de quinze.

Chaque année, c’est pareil, le contrôle, tous les extraits, systématiquement. On est le vingt du mois, t’as zéro euro sur ton compte, une amie te verse vingt euros, faut le justifier avec photocopie de sa carte d’identité et tout le bordel.

Personne ne te dit qu’ils n’ont pas le droit. Si tu ne le fais pas, tu te les mets à dos de toute façon. Et le plus important dans la vie d’une passionnée c’est sa passion, alors tant qu’on finance mes études, je m’écrase.

Oui je cherche du boulot chaque été. Non, ne vous inquiétez pas, je ne pars pas en vacances. Et chaque année c’est le même contrôle, bien culpabilisant. Bien stressant. Et si ça ne passait pas ? et si je devais tout arrêter ?

Et puis un jour, tout change. On devient maman. Et on rallonge la liste des mamans célibataires. En double master à l’ULB. Ok, ils ont « accepté » ma grossesse. Vous avez le droit de doubler une fois. Mais qu’on ne vous y reprenne pas, faut finir vos études maintenant.

Puis mon petit a un an. Je ne peux plus rester dans mon logement précaire. Même si le loyer était faible. Ce n’est plus possible ni pour lui, ni pour moi, ni pour mes propriétaires. Trouver un logement à Bruxelles en maman solo étudiante au CPAS sans garant, tout en gardant la cadence avec les études,

ok, c’est pas facile mais je dois le faire, j’ai pas le choix. J’emprunte des sous pour la garantie, je trouve un propriétaire confiant dans un appart un peu clean. En un mois, j’ai trouvé.

Mais bien sur je passe d’un kot étudiant à deux cent cinquante € à un appartement à sept cents € + charges ! Alors je vais au CPAS, je leur explique que j’ai besoin d’aide pour la crèche. Je ne sais plus joindre les deux bouts. « Oui mais vous étiez dans une situation confortable avec votre loyer de deux cent cinquante €, vous vous êtes mises toute seule dans cette situation ». Le conseil refuse. J’avais beau leur dire que mes propriétaires m’ont demandé de partir. Non, rien.

Je demande à voir le président. C’est un samedi, j’y suis donc avec mon fils. Il a un an. Nous arrivons, je suis prête, préparée, je me sens dans mon droit. Je devais trouver un logement, rapidement, je l’ai fait, je demande juste une aide pour la crèche. Comme nombre de mères au CPAS célibataires. Le président me salue. Puis s’arrête :
“Mlle, je peux vous poser une question ?
– Oui.
– Vous avez fait l’université, n’est-ce pas ?
– Oui
– Comment se fait-il qu’une femme de votre niveau d’étude fasse des enfants comme ça ? Vous n’avez pas accès à un moyen de contraception ?

Mon ventre se noue, je ne sais même plus comment je m’appelle… Est-ce que j’ai bien entendu?

– Je vous demande pardon ?
– Vous faites des enfants et vous ne savez pas les assumer, fallait pas les faire dans ce cas. Il existe assez de moyens .”

Je ne sais pas quoi répondre.

Ceux qui ne font pas l’université se multiplient comme des lapins c’est ça qu’il veut dire, ou simplement qu’il faudrait stériliser les pauvres ? Bref, je bégaye. J’essaye de me justifier et lui m’explique qu’il a quatre enfants et qu’il savait les assumer lui et que mon attitude n’est pas responsable. Mais que « ma fille » (mon fils a les cheveux longs) est quand même très mignonne. Ça dure une dizaine de minutes, puis je me reprends et je lui dis froidement que je ne suis pas venue ici pour parler d’avortement ou de pilule du lendemain mais que j’ai une demande. Je n’ai plus vingt ans, je veux et j’exige qu’on nous respecte moi et mon fils, un minimum. Je redemande l’aide pour la crèche. J’explique que je n’avais pas le choix de déménager. Que les logements à Bruxelles sont chers, que je devais trouver vite quelque chose. Que je l’aie fait, sans rien demander au CPAS et que là, je suis en dernière année à l’université, que c’est pas grand-chose, prendre en charge une partie des frais de crèche et que pour moi ça change tout.

Là, il me demande combien de m² fait mon appartement. Je lui dis, c’est un petit deux chambres qui doit faire 60 m². Il est hors de lui. Je pouvais très bien trouver un 30 m² beaucoup moins cher ! Et qu’en plus je suis prétentieuse. « C’est pas de votre faute, mais c’est l’impression que vous me faites, vous ne m’avez pas convaincu. Vous croyez quoi ? que le CPAS c’est une banque ? Et vous voulez m’expliquer à moi président du CPAS comment les choses fonctionnent ? ». Il est vraiment hors de lui. Je lui demande de se calmer. Il m’attaque sur mon double cursus, il m’attaque sur tout ce qu’il peut. Ça dure encore un bon quart d’heure. J’essaye de garder la tête froide. Puis l’entretien se termine.

En partant, il jette un dernier regard sur mon fils et me lance en souriant «heureusement, elle est trop petite pour comprendre». J’ai fait quelques pas dehors puis j’ai vomi. Ce qu’il ne savait pas, c’est que je vais encore avoir un petit bébé d’ici le mois d’août. Un bébé surprise, pas prévu. Mais que je vais accueillir comme un cadeau. Je n’ai pas trouvé la force encore de le dire au CPAS. Et si cette fois-ci, ils «n’acceptaient» pas ? En cours d’histoire chinoise, la prof parlait de l’élitisme universitaire qui dérangeait les maoïstes. Puis elle a ajouté «quand on regarde une classe de dernière année dans notre faculté, on se rend compte que c’est une réalité à l’ULB. Les inégalités se reproduisent de génération en génération». Effectivement, je suis la seule étudiante boursière dans la classe. Et le nombre de mères célibataires au CPAS en master de philo et lettre, on ne doit pas être beaucoup. Et avec Borsus (a été ministre de l’Intégration Sociale du gouvernement Michel. Aujourd’hui il est ministre président de la Région Wallonne), ça ne va pas s’arranger madame.

Pour faire de la philo ou pour faire des enfants, faudra être né du bon côté de la barrière. Mes travaux sont bons, mais on sent que je manque de temps. Ben non, chers professeurs, je ne peux pas prendre plus de temps. Je n’en ai pas. Je gère seule mon budget, mon fils, ma grossesse. Comme beaucoup de personnes qui souffrent de l’injustice du système, je suis engagée pour aider ceux qui ont moins de chance que moi. Et puis je me bats avec le CPAS pour survivre et offrir un niveau de vie décent à mes enfants. Le temps de pouvoir finir et enfin travailler.

Mais pour pouvoir continuer dans le milieu universitaire, il faut avoir plus de temps, pour fournir un travail impeccable. La discrimination commence là aussi. Quand on doit courir à gauche et à droite pour avoir une aide par ci, une aide par là pour finir son mois, on n’est pas en train de travailler. Et puis regardez d’un œil distrait les scandales de corruption qui se répètent.

Qu’on m’explique ce qu’on fait avec deux cents milles € par an ? Qu’on m’explique pourquoi c’est moi qui profite honteusement du système alors que je n’avais qu’à avorter de mon petit garçon ? C’est vrai que je suis chanceuse. J’en ai bien conscience. Et pourtant j’ai un goût amer dans la bouche.

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