Témoignages de mamans mises au travail via l’article 60

  «Travailler comme “Article 60″»…? Ce terme renvoie à l’Article 60 §7 de la loi organique sur les CPAS datant de 1976. C’est une des formes d’aide que peut accorder les Centres publics d’action sociale. En l’occurrence, il s’agit d’une mise à l’emploi le nombre de jours nécessaires pour que le prestataire ait droit aux allocations de chômage et puisse accéder pleinement à la Sécurité sociale.

Quand on bénéficie d’une mise à l’emploi via un «Article 60», le CPAS est l’employeur.Depuis la loi de 2002 sur «le droit à l’intégration sociale», cette opportunité est privilégiée au détriment d’autres dispositifs, car l’activation par le travail est vue désormais comme la meilleure forme de réinsertion dans la société. Dès lors, «l’Article 60» est devenu contraignant.

Dans la pratique, la personne employée en «Article 60» se trouve confrontée à de multiples problèmes. Dans les témoignages ci-dessous, il s’agit de mamans ayant de très jeunes enfants: elles travaillent dans les services du CPAS, mais les mêmes difficultés se poseraient si elles étaient affectées –sous le même statut–à la Commune ou dans des associations, voire dans des entreprises: comment combiner, en effet, le travail qui leur est imposé avec la garde de leurs enfants en bas âge…?

Depuis des mois nous récoltons de nombreux témoignages–tous «représentatifs» des dérives qu’entraîne trop souvent la mise au travail de mamans esseulées. Leur vie, déjà pas facile, se voit ainsi encore plus malmenée.

Comme ces récits concernent plusieurs CPAS bruxellois, on est en droit de s’interroger: est-ce de cette façon qu’il faut comprendre la loi sur «le droit à l’intégration sociale»? Dans ses attendus, la législation précise pourtant que tout doit être mis en œuvre afin de permettre à l’intéressé(e) de «construire son avenir, de construire son équilibre, d’assumer au mieux ses responsabilités d’adulte et de parent»,de permettre à chacun de se voir «garantir un droit à l’émancipation personnelle»…

A titre d’exemples, voici cinq cas (parmi les moins déchirants) et les commentaires de l’aDAS.

Malika

Malika travaille au CPAS comme «nettoyeuse» (contractuellement «technicienne de surface»).

Ce jour-là, elle semble plus nerveuse que d’habitude et, plusieurs fois, on la surprend en train de converser au GSM. Elle finit par expliquer que son enfant est seul à la maison, qu’elle lui a laissé chips et Cocacar il est trop jeune pour se faire à manger et qu’elle lui conseille de regarder sagement la télévision.A nos questions, elle répond que son gosse est en deuxième primaire, que ce n’est pas juste aujourd’hui qu’il reste seul mais que c’est comme ça tous les jours durant les deux mois de vacances.

On lui parle de la possibilité pour son enfant de partir en séjour résidentiel pendant une semaine. Mais elle se montre réticente et finit par dire qu’elle a très peur de son mari dont elle est séparée et que, lui, il ne voudra jamais.

Conclusions
On sait que,durant tous les congés scolaires, le même scénario s’est répété et continuera toute au long du contrat. Nous apprendrons, plus tard, que Malika doit se rendre chez un pédopsychiatre avec son enfant.

Il faut savoir qu’elle a suivi tout le parcours d’insertion socioprofessionnel (promu par le Service Public de Programmation «Intégration sociale»). Malika avait, à cet égard, introduit une demande et reçu une aide du CPAS. L’assistante sociale du Service social(de première ligne) avait orienté la jeune femme dans la filière «Recherche d’emploi». Or Malika ne comprend pas bien une des langues nationales et, de surcroît, est illettrée. Pourquoi n’avait-elle pas, dès lors, été orientée vers une formation?

Elle va donc être, dans un second temps, orientée vers la Cellule «Emploi»qui lui «proposera» un travail à temps plein au CPAS sans se soucier de sa situation familiale (absence du père au foyer; pas de grand frère ou de grande sœur, ni de grands-parents, ni de tantes)…

 Nouria

Elle a passé les 50 ans. Nouria est mère au foyer, d’une famille nombreuse et se retrouve «technicienne de surface» avec un contrat de minimum deux ans.

Quelques mois après ses premières prestations, elle commence à se confier –auprès de collègues qu’elle croise régulièrement–sur son malaise au travail. Outre de nombreuses difficultés professionnelles, elle est préoccupée pendant son travail, par la situation de ses enfants, seuls à la maison durant les congés scolaires. Sa plus jeune, qui a 10 ans, est très souvent malade et doit s’absenter de l’école. L’état de santé de la petite fille ne peut s’améliorer, selon les médecins, à cause de l’insalubrité du logement.

Une de ses filles, plus âgée, est chargée de donner les soins à la petite lorsqu’elle est malade et appelle donc sa mère plusieurs fois par jour pour lui demander conseil. Une autre de ses filles prend en charge l’aide et les démarches administratives auxquelles sa mère doit faire face. Quant à l’aînée (qui vit en dehors du foyer), elle avait sauvé la famille –qui s’était retrouvée à la rue–en déboursant de quoi lui trouver un logement (ce qui l’avait obligée de reporter son mariage).

Nouria a déjà dû s’absenter de nombreuses fois pour garder sa cadette lorsqu’elle était malade. Son quota de jours fériés étant presque épuisé, elle a reporté les consultations médicales pour elle-même alors qu’elle souffrait constamment.Une secrétaire médicale, ayant considéré l’urgence, lui avait trouvé un rendez-vous (suite à un désistement) mais Nouria n’a pas osé y aller. Finalement, elle aurait dû subir une intervention chirurgicale mais, vu son état général dégradé, cette opération a dû être reportée.

Conclusions
La petite fille de Nouria a sa santé définitivement altérée à cause de l’insalubrité du logement, n’a pas sa mère à son chevet (y compris pendant les vacances scolaires). La maman est de plus en plus stressée (elle avait perdu le bénéfice de la Carte médiale) et, finalement, est sérieusement malade.

Questions
Nouria avait introduit et reçu une aide du CPAS. L’AS du Service social l’a orientée vers la filière «Emploi» probablement à la demande de l’intéressée. Or Nouria s’exprime à peine en français, est totalement analphabète et –de ce fait–ne sait pas se déplacer même dans son quartier, n’a pas de logement salubre, ne sait entreprendre aucune démarche seule (elle n’a pas reçu d’allocations familiales pendant un an, par exemple)…Quel est donc le sens de cette «insertion profession-nelle» et quel bénéfice (à court et moyen termes) pour la petite de 10 ans?

NICOLE

D’origine africaine, bénéficiaire de l’aide du CPAS qui lui a trouvé un emploi en la détachant dans une association. Peu de temps après le début de son contrat, elle réussit à faire venir d’Afrique ses deux très jeunes enfants. Elle se débrouille pour leur trouver une place dans une école à la rentrée suivante, huit mois plus tard. En attendant, Nicole va travailler chaque jour en laissant seuls les petits dans un logement sous «la surveil-lance» d’un voisin… handicapé.

Mais cette situation étant trop précaire, elle trouve une femme qui accepte de venir garder les enfants chez elle, en se faisant bien payer. L’époux de Nicole, et père des enfants, est toujours en Afrique car il n’a pas obtenu l’autorisation de rejoindre la Belgique. Elle, elle déclare n’avoir aucun membre de sa famille pouvant prendre en charge la garde des tout petits.Durant les vacances de Pâques 2016, elle cherche désespérément la possibilité d’envoyer ses mioches en vacances pendant quelques jours. L’AS du Service «Insertion professionnelle»–lorsqu’il est interpellé–commence à s’exclamer: «C’est de sa faute, je lui avais dit de ne pas faire venir ses enfants en Belgique. Je l’avais prévenue. On ne peut pas mettre en difficulté l’association où elle preste». Evidemment, il y a une liste d’attente de candidats à l’emploi, longue comme le bras… De son côté, l’agent du «Service du personnel»fulmine, s’écriant sur un ton irrité: «Elle a déjà presque tout pris de son quota de congés». L’AS du Service social répond: «Mais j’ai déjà dit à Madame d’aller demander l’inscription, avec réduction tarifaire [qui n’existe pas, NDLR], aux plaines de vacances»…

Conclusions
Pourquoi le CPAS ne prend-il pas d’abord en considération la situation des enfants (et donc de la mère) par rapport à l’insertion professionnelle –laquelle aurait pu être reportée de plusieurs mois?

 SVELTANA

Cette femme courageuse vit seule avec son enfant de 12ans. Sans revenus, elle a demandé l’aide du CPAS et s’est retrouvée «mise au travail»comme nettoyeuse. Deuxmois après avoir été engagée, elle introduit –auprès du Centre–une demande d’aide financière pour les frais de garderie scolaire. Demande refusée. Début février: congé scolaire de détente. Le quatrième jour, de grand matin, elle se confie à une collègue: elle «n’a pas la tête à travailler aujourd’hui» car son gosse est tout seul à la maison…En effetce jour-là, la femme qu’elle paie pour le garder n’est absolument pas disponible. Il faut savoir que la maman n’a droit qu’à 7 jours de congé cette année et Svetlana ignore comment faire pour lesprochaines vacances de Pâques, longues de deux semaines…

Tel est bien le paradoxe: devenue travailleuse, elle n’est plus considérée comme une personne «aidée»par le Centre Public.Dès lors, elle doit trouver elle-même des solutions stables, pérennes pour qu’un adulte prenne soin de son garçonnet et –pour ce qui concerne les frais de garde–démontrer, auprès du CPAS, son incapacité financière à les prendre en charge. Cette démarche administrative représente, en réalité, un véritable parcours du combattant: tous les contacts avec le Centre doivent s’entreprendre durant les heures à prester –sans aucune compréhension ou la moindre indulgence de la part de ses supérieurs.

Conclusions
Svetlana est obligée de payer«sur son salaire»,déjà pas très élevé, tous les frais de garderie scolaire.

Questions
Comment peut-on mettre à l’emploi une maman célibataire sans s’assurer préalablement qu’existe une solution sûre pour la garde de son gosse lors des congés scolaires?Pourquoi les travailleuses en «Article 60»ne peuvent-elles pas bénéficier de congés sans solde à l’instar de tous les travailleurs?Ou de pouvoir percevoir, durant ces périodes de congés  «obligés», le revenu d’intégration sociale?

CAROLE

Son fils de 14 ans a eu un malaise à l’école. A l’hôpital, on décèle une insuffisance cardiaque. Dès lors, l’enfant doit rester au repos à la maison en attendant une lourde chirurgie du cœur.La maman continue de travailler, laissant le jeune adolescent tout seul. Occasionnellement, des membres de la famille passent en journée.

Après 15 jours, le garçon fait de nouveau un malaise cardiaque en présence de sa petite sœur… La maman est appelée à son travail: on lui apprend que son fils a été transporté d’urgence en ambulance et que la petite a été emmenée avec lui à l’hôpital. Le fils est opéré: tout s’est bien passé.Durant l’hospitalisation, Carole essaie de lui rendre visite en fin de journée son chef lui ayant rappelé qu’elle n’a pas le droit de prendre congé…

Le fils rentre à domicile: pendant de longues semaines, il sera obligé de rester en repos complet (il lui est interdit tout effort physique  y compris de se rendre seul à la toilette)… En conséquence, sa maman est obligée de chercher partout autour d’elle une personne de confiance qui pourrait assurer une présence constante (et payante) auprès de son garçon…

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