Où est ma dignité, où est mon indépendance?

Aucune aide des services sociaux, ni de la commune

Dans mon parcours un des moments les plus difficiles ça a été quand ma maison a été vendue et que j’ai failli me retrouver à la rue avec mes deux filles. Je n’ai eu aucune aide ni des services sociaux, ni de la commune. Pourtant j’avais un document du notaire prouvant que ma maison était mise en vente. J’étais prioritaire dans rien du tout. Mes parents ont bien voulu me reprendre mais moi je ne voulais pas. Nos relations n’étaient pas faciles. Je me suis rendue compte de ce que c’était de se retrouver sans rien et me suis dit : quand même ceux qui sont à la rue, ça va vite, ça va vite.

J’ai perdu ma maison – la catastrophe!

Le point de départ, ça a été des difficultés dans le couple, une séparation. On était tous les deux propriétaires, on avait déjà payé dix ans la maison mais le remboursement du prêt n’était pas fini. Mon mari a voulu vendre la maison. Il renonçait à sa part et moi, j’aurais continué à verser le reste du prêt. Je ne devais pas payer beaucoup par mois mais ça a été « out » avec la chance que j’ai !

Je venais d’être licenciée, j’ai eu droit à des allocations de chômage. Même si je touchais presque le même salaire qu’en travaillant, pour les banques, je ne pouvais pas faire d’emprunt et racheter ma maison car j’étais au chômage. C’est triste.

On n’a rien gagné de la maison. Quand elle a été vendue, ça a été tout juste pour payer les intérêts. Sur le reste du capital, rien, on n’a pas eu un franc.

Je n’étais pas prioritaire au niveau Foyer Louvièrois car, ça ne faisait qu’un an que j’étais inscrite. Pas de possibilité d’aide non plus au niveau de la commune et du CPAS. Donc, c’était la catastrophe.

J’ai encore pu vivre un an dans ma maison parce qu’il y a eu plusieurs acheteurs qui ont renoncé. Mais dès qu’ elle a été mise en vente, l’angoisse me tenaillait car je pouvais être mise dehors à tout moment et me retrouver à la rue avec mes deux filles !

Quand quelqu’un a enfin pris possession de la maison, je m’en suis sortie au niveau du logement par un piston. Il m’a aidée à avoir une maison au niveau de la société d’habitations sociales. Mes enfants n’ont pas dû changer d’école.

Terrible hein !

Je ne savais plus rien acheter !

Quand je me suis retrouvée au chômage je devais quand même payer la moitié de la maison avec mon ex-mari : c’était 6400 francs belges (160€), plus le chauffage : 6000 francs belges (150€), je n’avais que 22000 francs (550€) d’allocation. C’était la catastrophe : ne rien savoir acheter !

Dans la famille j’avais fait un appel : « SVP, n’achetez plus de jouets, plus de bonbons, venez avec des fruits ou des légumes ! »

C’est ça la pauvreté aussi. C’est peut-être ça aussi l’intelligence des repas équilibrés : demander aux autres cette aide-là, que j’ai eue. Mes filles ont eu des fruits, des légumes et j’ai refait mon jardin.

C’était fin des années 80, mes filles étaient encore petites, j’avais leur charge…

Mes filles adolescentes n’ont pas compris

Ce que j’ai vécu de terrible, c’est quand mon ex-mari n’a plus exercé son droit de visite.  C’est un droit, ce n’est pas une obligation et donc on ne peut pas le forcer. J’ai eu mes enfants tout le temps à charge et là financièrement j’ai eu du mal. Quand elles allaient chez leur père pendant les vacances, je mettais les sous à place. Et pour la rentrée, elles avaient leur manteau, leur cartable. Je n’ai plus su le faire.

Ça a été dur avec une incompréhension de la part de mes filles adolescentes qui n’ont pas compris pourquoi elles étaient plus privées qu’auparavant. Elles m’en ont beaucoup voulu. Comme j’aimais bien boire un verre, elles m’ont traitée d’alcoolique, elles n’ont pas compris que ce n’était pas de ma faute, c’étaient des moments très durs.

Et moi, ma vie ? Ma vie de femme, ma vie d’adulte ? Plus d’amant, plus de sortie, qu’est devenue ma vie ? Un gros sacrifice !

Elles n’ont pas voulu

Par rapport à la pauvreté, je voudrais dire ceci : je me suis retrouvée dans une maison de société en ayant un peu plus de moyen pour vivre. Le loyer est social par rapport à ce que je donnais pour rembourser mon prêt. Mais j’ai perdu une maison que j’avais payée pendant dix ans. Pour moi, la maison c’était important. C’était une garantie pour mes vieux jours, je n’avais plus que dix ans à payer. C’était une garantie pour quand mes enfants feraient leurs études. J’ai poussé mes filles à faire des études mais elles n’ont pas voulu. Elles m’ont dit : « maman tu n’auras jamais l’argent » et je leur ai dit que pour ça, j’irais trouver leur grand-père, mon papa à moi, qui avait de l’argent. J’étais prête à demander à mon père l’argent nécessaire pour qu’elles fassent des études.

La pauvreté ça amène aussi à ne pas faire faire les études que tu veux à tes enfants.

L’ intelligence écologique

Je vivais mieux au niveau bouffe. Je ne me faisais plus des œufs cuits durs – patates pendant trois jours. Mais je faisais mon jardin. J’avais des poireaux pour faire de la soupe verte. Une année j’ai repiqué cent dix-sept poireaux, et j’avais aussi de la salade…

Je ressentais le contrôle de l’ONEM (Office National de L’Emploi) pour le statut cohabitant comme une agression

A ce moment-là on était horriblement contrôlé quand on était en chômage au niveau du domicile. On pouvait venir chez vous contrôler la situation familiale et les inspecteurs de l’ONEM pouvaient entrer, contrôler…Et on risquait une exclusion…

Je ressentais ce contrôle comme une agression.

Il y avait un copain qui venait me dire bonjour souvent, je ne vivais pas avec lui, mais j’ai failli avoir à ma porte un contrôleur ONEM quand il était là.

Je l’ai domicilié chez moi car la pression était trop forte…

Le CPAS surveillait aussi beaucoup dans les années ‘80 et surveille beaucoup maintenant encore. Quand tu es assistante sociale, c’est affreux. Tu ne fais plus un travail d’assistance sociale, tu fais un travail de gendarme, ce qui est moche.

La grosse difficulté dans ma vie ça a été de faire confiance en la loi, en la justice

J’ai fait des études en médiation familiale. La banque n’a pas voulu que je sois en négatif et que je fasse un prêt de 1200 €. J’ai eu deux factures carabinées de fin d’année, l’une pour l’électricité, de 700 € et l’autre pour l’eau. Je me suis retrouvée avec 1800 € de dettes et là de nouveau, je n’ai pas été aidée par le CPAS ni par personne.

Avec un ami je suis allée voir l’assistante sociale du CPAS. J’ai eu l’impression qu’elle s’arrangeait avec Electrabel plutôt que de m’écouter, de me donner de l’aide. C’était dégueulasse. Electrabel exigeait une somme énorme par mois ou que je mette un compteur à budget. Moi, je ne voulais pas de compteur à budget parce que j’avais toujours su bien gérer. C’est la banque qui n’a plus voulu que je tombe en négatif.

L’assistante sociale n’a pas négocié un étalement plus raisonnable avec Electrabel. Par réaction je suis partie chercher un avocat. Je croyais qu’un avocat était une garantie du droit. Mais j’ai été escroquée. Elle me donnait 420 € par mois, elle payait mon loyer mais je ne sais pas ce qu’elle a fait avec le reste de mon fric. Ça a duré cinq ans…

J’ai pris un autre avocat pro deo…

Pour 1800 €, ça a duré cinq ans. Oui, le premier avocat m’a escroquée ! Et pas rien que moi ! Maintenant, il ne peut plus faire de médiation de dettes… Vous vous rendez compte !

Ce n’est pas possible autrement

Maintenant je vis mieux, je touche 1120 ou 1200€, donc j’ai plus. Mais malade, nerveusement malade avec plein de problèmes : cancer, rhumatisme articulaire, diabète… Beaucoup de frais médicaux : pas moins de 45 € par mois. Je ne m’en sors pas. Je suis diabétique de type 2. Si je veux manger mon fruit, mes légumes, mon yaourt, il me faut mes 10 € passés par jour. 45 € de frais de médicaments par mois c’est cher. Si j’avais ces 45 € par mois en plus, ça me ferait plaisir.

Je bois de temps en temps un verre de vin, c’est vrai. Maintenant je suis plus exigeante qu’avant : si je bois une bouteille de vin (ça ne m’arrive pas souvent), ne fût-ce qu’une fois par semaine, ce sera une bouteille à 3 €. Avant, c’était du bête vin qui me tournait à la tête tout de suite, du rosé. J’estime que j’ai le droit. J’ai crevé assez ! J’estime que si je veux boire une bouteille de vin, j’ai le droit.

Financièrement, je ne peux pas faire ce que je veux avec ma nourriture. Je dois faire un choix. Des steaks, j’adore les steaks, j’en mange une fois par mois, peut-être deux fois par mois. Ce n’est pas possible autrement.

Plus maintenant

Avant le CPAS m’aidait pour le remboursement des médicaments et donc j’avais la carte pharma et les avantages annexes : la carte citoyenne pour payer le coiffeur, accéder au magasin citoyen… Plus maintenant !

Un jour, j’ai reçu un papier du CPAS me disant qu’ils ne m’aidaient plus. Ils considéraient que j’avais assez de revenus. Pourtant mes revenus n’avaient pas bougé ! Au contraire la vie a augmenté. C’est plus difficile pour moi, mais eux n’intervenaient plus ! Pour moi, psychologiquement, c’est difficile de demander de l’aide, je n’ai pas eu le courage de faire un recours, seule, contre cette décision du CPAS.

J’ai déjà vécu çà avec le médiateur de dettes et cette fois, je n’ai pas voulu, j’étais « out ». C’est difficile à expliquer mais je n’aurais pas su. De toute ma vie, du bilan de toute ma vie, c’est la totale : Ne plus être aidée, parce qu’il y a aussi ma dignité.

Avant, avec la carte citoyenne, je pouvais aller au magasin citoyen. Je ne payais que 25 € pour aller chez le coiffeur, maintenant je dois payer 50 €. J’estime qu’aller chez le coiffeur, c’est quelque chose de normal. Mais je ne sais plus y aller toutes les six semaines. J’ai une tête « de sotte », ça « strique » de tous côtés, ça fait deux mois et demi que je ne suis plus allée chez le coiffeur.

Ça me titille, je me dis : ce n’est pas normal, on vit dans un pays riche, non des dieux ! Ce n’est quand même pas un luxe à soixante berges d’aller chez le coiffeur. Moins de moyens, c’était à nouveau me priver plus…

Quand on est aidée par le CPAS, on n’a pas le droit de penser, d’exister !

Quand j’étais aidée par le CPAS, je devais renouveler ma demande de carte pharma et citoyen tous les trois mois. Je voyais mon assistante sociale et je devais justifier mes dépenses. On regardait mes revenus. A ce moment-là, le CPAS payait ma mutuelle, c’était 8 € par mois. Un jour, l’assistant social voit que je donne 3 € par mois à Médecins sans Frontières et 4 € par mois pour ma filleule. Je lui explique que mon frère est décédé. C’est une parole que les marraines ont donnée, d’aider leur filleule si un parent ne pouvait plus s’en occuper. Pour Médecins sans Frontières, c’est un acte de solidarité. Je n’achète pas des marqueurs, des crayons pour des causes diverses mais je donne une fois par mois. Elle m’a supprimé l’aide pour la mutuelle, elle m’a dit : « Si on vous donne de l’argent, ce n’est pas pour que vous alliez en mettre ailleurs ».

J’avais exprimé une solidarité par rapport à ma filleule et à Médecins sans Frontières car c’est mon combat de militante. J’ai gardé mon point de vue, je n’ai pas laissé tomber, j’ai résisté : de quoi elle se mêlait, de ma vie, de mon histoire avec ma filleule, avec mon militantisme ? Tant pis si je perdais leur 8 €, je n’en avais rien à foutre. C’était 8 €, mais si ça avait été plus, qu’est-ce que j’aurais fait ? Je suis fière, je le reconnais ! Mais l’attitude du CPAS, c’est triste, c’est vraiment triste. Où est notre dignité humaine, où est notre indépendance ?

C’est vraiment difficile quand tu es dans une situation précaire.

Ça vous touche dans quelque chose de profond. L’aide sociale n’est plus vraiment un droit, l’assistant social considère que c’est son fric à lui. Tu n’as plus le choix de décider, plus le droit de penser ni d’exister, c’est grave.

Enfin la vie, c’est triste !

Quand je travaillais, j’ai entendu une assistante sociale demander à une personne : « pourquoi vous en avez fait un troisième ? » Tu te rends compte, jusqu’où ça va. On fait quoi avec le troisième, on le met à la poubelle ?

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